Cuisiner sur le toit du monde. Une famille népalaise illustre son histoire de résilience climatique à une météorologue

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Cuisiner sur le toit du monde. Une famille népalaise illustre son histoire de résilience climatique à une météorologue

Temps de lecture estimé: 5 minutes

Les contreforts de l’Himalaya sont certainement l’une des régions les plus reculées dans lesquelles j’ai eu l’occasion de dîner. Les paysages y sont à couper le souffle. La chaîne de montagnes s’étend à perte de vue et les vallées se perdent dans l’horizon. Nous sommes dans la province de Karnali, à six heures de route de la capitale du Népal, Katmandou, où les terres sont verdoyantes, offrant au regard toutes les nuances de vert, parfois dorées dans la lumière du soleil, souvent sombres, tirant sur le brun lorsque les nuages et la pluie pointent le bout de leur nez.   

Nous serpentons sur des routes étroites, trouées de nids-de-poule créés par les intempéries. Quelques blocs de pierres nous bloquent parfois le chemin, donnant une idée des masses d’eau qui dévalent les montagnes pendant les fortes pluies. Nous sommes fin septembre et la mousson devrait bientôt toucher à sa fin. Pourtant, le temps reste obstinément à la pluie.    

Une semaine avant mon voyage, 80 personnes ont perdu la vie dans une province voisine, quand l’eau a emporté une partie de la montagne dans de violents glissements de terrain.   

Les communautés locales vivent sous la menace des changements climatiques et des phénomènes météorologiques extrêmes tout au long de l’année. Autrefois prévisible, la mousson est aujourd’hui plus chaotique que jamais et, lorsqu’elle frappe, elle frappe fort. La saison sèche est plus sèche qu’autrefois et les incendies démarrent et se propagent à une vitesse dramatique. Chaque saison amène son lot de phénomènes naturels qui menacent les populations et les terres, et nous savons que cela est dû, plus largement, à la crise climatique.

Sur un aplomb rocheux, à cinq minutes de piste d’un hameau, une petite ferme apparaît. Je voyage avec Sam, mon cameraman, et une équipe népalaise du projet ASHA, soutenu par le FIDA.  

Après avoir traversé un cours d’eau aux allures de torrent, je retrouve Megnath Ale Magar, son épouse et sa famille. Cette ferme est la leur et ils ont accepté de me la faire visiter. Leur regard est calme, leurs mouvements sont fluides et pleins de force. La caméra est braquée vers eux. Pourtant, j’ai le sentiment que leur attention reste entièrement tournée vers leurs terres, leurs animaux, leurs plantes, leurs récolte.   

 Mme Ale [au premier rang, à droite], entourée de sa famille et de ses amis, près de l’école de permaculture financée par le FIDA. ©Sam Cole

 

Je suis ici pour goûter un plat traditionnel: un curry d’orties, accompagné de dhindo et de tomates marinées. Tous les ingrédients proviennent de leur exploitation. Rapidement, je me retrouve à escalader la montagne, en suivant Mme Ale qui avance d’un pas léger. Nous sommes entourées de plus de 200 plantes. Un Éden empli de fruits et de légumes. Elle ramasse les plus jeunes feuilles d’orties, celles qui sont au sommet de la plante, choisit des piments frais, des tomates charnues, toutes sortes d’herbes aromatiques et du poivre du Sichuan. Dans le lointain, j’entends le doux son des bœufs, des chèvres et des porcs dans les pâturages, où leur urine et leurs déjections seront transformées en engrais et en fumier.

Les piments sont une culture commerciale et poussent abondamment dans la région. © Clare Nasir

 

Ce voyage ne consiste pas uniquement à partager un repas avec cette famille, mais aussi à comprendre comment les agriculteurs locaux font face aux effets des changements climatiques. 

Megnath a adopté la permaculture, une pratique agricole durable et autonome qui reproduit la diversité et la résilience des écosystèmes naturels. Et les résultats sont flagrants. Les sols sont plus riches, les cultures autochtones vigoureuses et fécondes. La gestion de l’eau et de la terre est intelligente, dans un travail en symbiose, naturellement industrieux, à l’image de leurs ruches, que l’on trouve à l’ombre des citronniers et des orangers.  

La famille m’explique qu’au cours des trois dernières années, leurs rendements ont considérablement augmenté. Aujourd'hui, ils partagent leur expérience et leur savoir avec la communauté et ils ont même créé une école de permaculture pour les agriculteurs et agricultrices de la région. Leur banque de semences est désormais pleine de semences locales, qui s’épanouissent dans les sols restaurés.  

Megnath a créé une école de permaculture pour les agriculteurs grâce à l’appui financier et technique du projet ASHA. ©FIDA/Kaushal Shrestha

 
En sciences du climat, on parle d’adaptation, un sujet au cœur des discussions de la COP27 en Égypte. Mais c’est une chose d’évoquer ces méthodes autour d’une table lors d’une conférence, et une autre de les appliquer concrètement afin de protéger la vie, les moyens d’existence et les environnements. Cela requiert du travail, de la patience et des financements.  

Et c’est ce que je constate, en pleine montagne, au Népal. Une volonté de fer, ancrée dans un savoir ancestral et décuplée par l’action.   

Le plat que la famille prépare pour moi – dans le cadre de ce que nous appelons les Recettes du changement – est une expérience culinaire en soi. Le dhindo est un plat de base essentiel et plein d’énergie à base de farine de maïs. Le curry d’orties est onctueux, délicieux. Les tomates marinées sont une explosion incroyable de fraîcheur en bouche. Des aliments variés, produits localement, qui représentent à merveille le travail et la réussite de Megnath et de sa famille. 

Alors que je m’apprête à partir, la pluie approche. Du peu de temps que j’ai passé ici, je sais que des cascades apparaîtront des montagnes, trouvant le plus simplement du monde leur chemin vers les cours d’eau. Le mauvais temps qui s’annonce sera certainement plus pénible pour moi que pour Megnath, qui croit en ses terres, en ses sols fertiles. La vie est dure pour ceux qui dépendent entièrement de la météo, en particulier avec l’évolution de plus en plus rapide des tendances climatiques. Pourtant, il me semble que ce coin de l’Himalaya rayonne d’espoir. C’est un endroit où les hommes, les femmes et la nature travaillent ensemble à un avenir plus sûr.