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Projet de développement rural de la région de Siguiri

28 March 1991

Le projet concerne une partie (4 sous préfectures sur 12) de la préfecture de Siguiri en Haute Guinée. Cette région est la moins arrosée du pays (moins de 1.300 mm) mais bénéficie des crues du fleuve Niger.

Les 8 plaines (5.800 ha) et leurs terrasses (1.000 ha) retenues par le projet ont déjà bénéficié d'un premier aménagement en 1947/48 puis d'un aménagement complémentaire en 1952/54 pour le développement de la riziculture. Avant 1984 et le changement de régime politique, les meilleures terres étaient généralement exploitées par des grandes fermes étatiques et/ou collectives qui occupaient près de 4.000 ha de plaines ou terrasses alors que les familles paysannes (près de 6.000) exploitaient près de 20.000 ha, essentiellement sur les plateaux, en cultures pluviales (mais, mil, sorgho) avec pour les grandes familles, un accès aux plaines de quelques villages. Malgré des conditions naturelles très favorables, les rendements étaient médiocres dans toutes les catégories d'exploitations: pour le riz, 400 à 1.000 kg/ha.

Conception et objectifs du projet

Groupe cible

Le projet devait bénéficier à deux catégories d'exploitations:

  • 28 grandes fermes collectives;
  • 6.000 petites exploitations paysannes.

Objectifs et composantes

Les objectifs du projet sont de contribuer à:

  • l'autosuffisance alimentaire de la Guinée,
  • une meilleure satisfaction des besoins alimentaires de la zone et à l'amélioration des revenus et conditions de vie des populations de la zone.

Ces objectifs doivent être atteints grâce à un accroissement de la production de riz dans les plaines inondables.

La principale composante du projet est constituée par l'aménagement de 5.800 ha de plaines et 1.000 ha de terrasses avec la construction et/ou la réhabilitation d'ouvrages de controle des crues: prises, digues et diguettes, canaux, arroseurs et fossés de protection. Les 28 fermes collectives devaient totaliser une superficie de 2.000 ha soit 30% des aménagements. Une parcelle aménagée d'une superficie moyenne de 0,8 ha devait être attribuée à chacune des 6.000 exploitations paysannes. Ces parcelles devaient provenir d'une redistribution des terres des plaines aménagées à l'ensemble des villages environnants.

Les autres composantes sont:

  • la réhabilitation de 70 km de pistes pour désenclaver les plaines;
  • la construction de bureaux, logements et magasins de stockages;
  • l'équipement du projet en engins et matériel d'entretien, unité de conditionnement de semences, moyens de transport;
  • la fourniture d'intrants et d'équipements à travers le crédit agricole et la vulgarisation;
  • un programme sanitaire (5 centres de santé et 50 puits)
  • la formation des cadres et bénéficiaires (alphabétisation, gestion)
  • la mise en place d'une cellule de suivi-évaluation.

Effets attendus et hypothèses

Il était attendu de l'aménagement des plaines et de la fourniture de services aux producteurs une augmentation de rendement de 0,4 t/ha avant projet à 2,2 t/ha pour les variétés améliorées en première récolte et 2 t/ha en deuxième récolte; une production additionnelle de paddy de 14.000 t grâce à l'amélioration des rendements et à l'extension des surfaces cultivées; un surplus de paddy commercialisable de 0,8 à 1,6 t selon les exploitations; l'assurance del'autosuffisance alimentaire des familles; l'amélioration de la situation de l'emploi; la réduction des migrations et l'amélioration des conditions d'hygiène et de santé.

Le projet avait pour hypothèse principale qu'une redistribution égalitaire des terres aménagées permettrait la constitution d'une paysannerie homogène sur le plan socio-économique.

Évaluation

 Evolution du contexte en cours d'exécution

Le changement de régime politique en avril 1984 a provoqué, outre la disparition des exploitations collectives et étatiques, la résurgence du droit coutumier, la reprise des plaines par leurs anciens propriétaires et donc l'abandon du projet de lotissement des plaines. Il a aussi conduit à la liquidation de la BNDA, la disparition des organes administratifs villageois, la réductions des subventions sur les intrants.

Dans ce nouveau contexte, trois mesures ont été prises:

  • l'extension des services du projet (vulgarisation, crédit,etc) aux terres des plaines non aménagées soit un total de 6 000 ha "encadrés";
  • La création d'un bureau de crédit au sein de l'ORS;
  • l'octroi de crédit d'équipement à des groupements paysans.

Réalisations du projet

Ont été aménagées 4.200 ha de plaines. Suite à des études complémentaires, les superficies aménageables avaient été réduites de 6.800 à 4.200 ha. Pour limiter les coûts, les conceptions des aménagements ont systématiquement privilégié la réhabilitation d'ouvrages anciens et n'ont eu recours qu'exceptionnellement à la construction de nouveaux ouvrages. Il en est résulté en général un sous dimensionnement qui affecte l'efficience des ouvrages. Les aménagements ne sont pas entretenus par les usagers.

Des pistes ont été réalisés: 90 km (sur 70 prévus).

Une unité de conditionnement de semences a été installée.

Cinq centres de santé ont été construits; seuls 2 ont fonctionnés (de façon épisodique); le lot de médicament acquis en 1990 n'a pas encore été mis en place.

Le programme des puits n'a pas été réalisé par souci d'économie et du fait qu'un autre projet financé par le FED a réalisé 33 puits dans la zone du projet.

Sur les 22 décortiqueuses prévues pour l'amélioration des conditions de travail des femmes, 13 seulement ont été acquises mais aucune n'a été installée faute de stratégie claire pour leur rétrocession et leur gestion par les bénéficiaires.

La formation des paysans en matière d'alphabétisation et de gestion a été négligée. La mobilisation en groupements est restée faible.

Le nombre d'exploitations "encadrées" a évolué de 1 230 en 1986 à 1 730 en 1988 pour retomber à 1 400 en 1990. La superficie moyenne cultivée par famille a été de l'ordre de 2,2 ha avec des grandes inégalités (0,25 à 100 ha/famille, 20% des exploitations ayant plus de 3 ha). Les superficies cultivées ont été inférieures aux prévisions: en moyenne, 3 200 ha, avec tendance à la baisse depuis 1989.

De 1985 à 1988, le projet a fourni à crédit 288 t de semences améliorées. Puis, le faible taux de recouvrement a conduit l'ORS à vendre au comptant. Les quantités vendues ont chutées à 12 t en 1989. La vente d'engrais a connu la même évolution (110 t à crédit en 1988 puis 15 t/an au comptant).

Appréciations des effets du projet et de leur pérennité

Bénéficiaires: ce sont principalement les grandes familles propriétaires des terres de plaines. La grande majorité des familles pauvres de la zone, n'ayant pas accès aux plaines aménagées, n'a pas bénéficié du projet puisque ce dernier n'avait rien à proposer en matière de développement des cultures pluviales.

En matière de préparation des sols, après une relative intensification en 1988-89 (équivalent de 7 h de traction mécanique par ha cultivé) les paysans semblent revenir à un système plus extensif (équivalent de 4 h de traction). Globalement, après un timide début d'intensification, les riziculteurs de Siguiri sont dans leur grande majorité retournés à leurs pratiques culturales traditionnelles.

Les rendements ont significativement augmenté sans atteindre pour autant les objectifs; passant de 0,4 t/ha avant projet à 1,5 t/ha la meilleure année, mais avec de fortes irrégularités. La moyenne sur les trois dernières campagnes s'élève à 1,2 t/ha.

L'effet du projet sur la production de paddy est très inférieur aux prévision. On peut l'estimer à 3 000 tonnes additionnelles contre 14 000 prévues.

Effets sur les revenus des bénéficiaires: Le revenu brut moyen additionnel par exploitation participante est relativement important (2 t de paddy par famille de bénéficiaires soit 260 dollars/an) du fait de la superficie moyenne des parcelles supérieure aux prévisions (2 ha contre 0,8 prévu), mais très inégalement répartis en fonction des dotations foncières.

Effets sur les revenus et les conditions de vie des femmes: aucune des décortiqueuses prévues pour l'amélioration des conditions de travail des femmes n'a été installée (voir par 15).

D'une façon générale, la dynamique de mise en valeur entrainée par la réhabilitation des aménagements, bien qu'en deça des potentialités et des objectifs du projet a eu un impact positif sur l'économie de la région: amélioration de l'alimentation, de la sécurité alimentaire et des échanges de céréales grâce à la production additionnelle (de l'ordre de 3 000 t par an), sécurisation relative grâce aux aménagements (pertes de récoltes limitées à 10-20% selon les années).

Sur le plan institutionnel, le projet a été une des premières expériences d'encadrement des exploitations familiales dans un pays qui n'a pas de références en la matière depuis son indépendance. En cela, il constitue un acquis par l'expérience, quoique insuffisante de ses cadres en matière de conduite de la riziculture, gestion de l'eau, entretien des ouvrages, crédit, suivi-évaluation, gestion de projet et de développement rural.

Appréciation de la durabilité du projet: l'accroissement de production de paddy ne semble pas durable. Les tendances observées depuis 1989 à la réduction des superficies et au retour à la riziculture extensive risquent de réduire sensiblement ces gains de production en l'absence de deuxième phase du projet.

Principaux problèmes rencontrés

Un changement profond de contexte politique en cours d'exécution

Conçu dans le contexte socio-politique de l'ancien régime, le projet avait pour principale hypothèse une redistribution de terres pour la constitution d'une paysannerie homogène sur le plan socio-économique. Dans ce contexte, le modèle d'encadrement proposé et les différentes hypothèses de mise en valeur étaient parfaitement rationnels. Mais, avec l'instauration du nouveau régime, le droit foncier coutumier a été restauré. Le projet s'est retrouvé en face d'une situation caractérisée par la très inégale répartition des terres (20% des exploitants ont plus de 3 ha). Les exploitants cultivent d'autres terres en dehors des plaines aménagées à "moindre frais" (mais, manioc, fonio etc). Ils considèrent le riz de la plaine comme une activité d'appoint qu'il n'est pas nécessaire d'intensifier. Géré par un jeune organisme, l'ORS disposant d'un personnel sans expérience en matière d'encadrement d'exploitations paysannes, le projet n'a pas su ajuster ses objectifs et sa stratégie à la nouvelle situation. Il s'est "enfermé" dans la conception initiale d'encadrement de la riziculture dans les plaines alors que celle ci s'est avéré ne concerner qu'une minorité de la population de la zone (les familles les plus aisées) et que la riziculture s'inscrivait dans un système de production plus large et diversifié.

Une faible mise en valeur des aménagements

Après un début d'intensification, on assiste à un retour aux pratiques extensives et à une faible utilisation des superficies aménagées. Sur le plan agronomique, la multiplication des adventices commençait à limiter fortement la production. Les seules techniques vulgarisées restaient le déchaumage précoce (peu suivi pour assurer aux animaux 3 à 4 mois de pacage) et la submersion qui suppose une synchronisation en matière de date de semis et de choix de variété. Or, les tentatives d'organisation des usagers en groupements n'a pas eu l'effet escompté. Ceci entrainait des pertes de récoltes et une baisse des superficies cultivées l'année suivante. De plus, l'arrêt des crédits de campagne a réduit les moyens financiers pour la location des tracteurs, l'achat d'intrants etc. L'insuffisance des équipements en traction animale (malgré les demandes, le projet n'a fait aucun crédit moyen terme), la faible disponibilité en main d'oeuvre (les cultures pluviales et l'orpaillage étant prioritaires pour les agriculteurs) ont contribué à la limitation des surfaces en riz. D'autre part, les aménagements n'ont pas fait disparaitre les risques de perte de récolte; le risque d'inondation ou de sécheresse à des stades critiques de la culture n'est pas éliminé. L'efficience des aménagements est très variable d'une plaine à l'autre.

Un coût excessif pour des résultats limités

Le coût de la réhabilitation des aménagements (études comprises) a été de l'ordre de 1 400 dollars par hectare pour une maitrise toute relative de la submersion et un revenu brut de l'ordre de 140 dollars par hectare aménagé. De plus, les obstacles rencontrés par le projet en matière de mise en valeur semblent avoir poussé l'ORS et les bailleurs de fonds à maximiser les achats d'équipements sans analyse rigoureuse des besoins réels, dans un souci d'"améliorer" les décaissements.

Recommandations et leçons à tirer

La mission d'évaluation intermédiaire considère qu'une nouvelle intervention du FIDA dans la région de Siguiri est souhaitable, d'une part pour tenter de valoriser, sur de nouvelles bases techniques et organisationnelles, les investissements réalisés et l'expérience acquise et, d'autre part, pour répondre aux besoins de la majorité des paysans pauvres qui n'ont guère bénéficié des actions de l'ORS. Mais plus qu'une "deuxième phase", c'est véritablement d'un nouveau projet qu'il s'agirait, plus conforme au mandat et à la démarche du FIDA et restituant aux villageois l'initiative et la maîtrise de leur développement.

Une seconde phase devrait être basée sur une analyse beaucoup plus large des systèmes agraires de la région de Siguiri en partant des besoins, des atouts et des contraintes des exploitations paysannes et en évitant de se focaliser uniquement et a priori sur la riziculture de plaine. Le projet, dans sa seconde phase devrait diversifier ses activités (cultures pluviales, élevage, activités maraichères pour les femmes, activités non-agricoles, etc) pour élargir le groupe cible aux populations n'ayant pas bénéficiées de la première phase. De telles interventions se feraient sur la base d'une approche participative dès leur démarrage et en relation avec les services préfectoraux compétents et les ONG opérants dans la zone.

Quatre leçons de portée générale peuvent être tirées de ce projet:

Quelle que soit l'idée de base ayant motivé son initiation et le caractère volontariste de la politique agricole nationale, aucun projet de développement rural ne devrait faire l'économie d'une analyse-diagnostic des systèmes de production du groupe cible et, plus globalement, du système agraire de la zone d'intervention préalablement à sa formulation. Cette exigence est d'autant plus forte que l'idée de p_ojet originelle est plus sectorielle. Cette analyse devrait prendre en compte l'ensemble des activités du groupe cible, y compris les activités non agricoles. Dans le cas de Siguiri, l'orpaillage s'est révélé une activité fortement concurrente de la riziculture.

Aussi sûres que soient les orientations initiales d'un projet, une grande souplesse dans sa mise en oeuvre devrait être garantie et accompagnée d'une amélioration considérable de la qualité et de l'opérationnalité des services de suivi-évaluation et de supervision. Dans le cas du Projet Siguiri, l'absence de réaction à l'abandon de la politique de redistribution foncière (1985) ou à la mauvaise récolte de 1988 est révélateur de la stupéfiante inefficacité de ces services.

Des projets d'aménagement hydro-agricoles de cette importance ne devraient pas être approuvés en l'absence de connaissances suffisantes des caractéristiques hydrologiques et pédologiques de la zone d'intervention. Mais, en cas de réduction importante des superficies aménageables au cours de la mise en oeuvre (40% dans le cas de Siguiri), le FIDA devrait veiller soit à contenir les déboursements proportionnellement aux superficies, soit à reformuler complètement le projet. A Siguiri, des dépenses importantes ont été engagées en équipements et bâtiments restés inutilisés apparemment dans le seul but d'accélérer les décaissements.

En matière de participation et d'organisation paysanne, le projet Siguiri montre une nouvelle fois qu'un grand projet de développement hydro-agricole parachuté dans un milieu paysan sans tradition de gestion collective de l'eau et qui n'a pas été associé à la conception et à la réalisation des aménagements, débouche sur des comportements d'assistés irresponsables sans appropriation des investissements par les usagers. Généralement, les coûts de gestion, d'organisation et de maintenance des systèmes d'irrigation ne sont assumés par les exploitants que lorsque ceux-ci sont à l'initiative d'investissements adaptés à leur capacité, qu'ils en ont compris et accepté collectivement les contraintes d'exploitation préalablement à la mise en valeur et ont bénéficié de la formation nécessaire.

 

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