Opinions & Idées | 6 août 2024

Le financement de l'action climatique n’arrive pas aux peuples autochtones. Il faut que cela change.

Temps de lecture estimé: 5 minutes
Hero image

Alors que nous regardions les flammes engloutir notre forêt, mon père et moi avons été envahis d'un sentiment d'impuissance. Je me souviens l'avoir entendu murmurer: « J'espère que le feu n'atteindra pas les maisons ».

Sous l'effet d'El Niño, amplifié par les changements climatiques, avril 2024 a été le mois le plus chaud jamais enregistré aux Philippines. Mon village, situé dans la municipalité de Paracelis (Mountain Province), n'est qu'une des nombreuses communautés touchées par des feux de forêts qui ont détruit des milliers d'arbres et asséché les sources d'eau.

Cette fois-ci, nous avons eu de la chance. Mais les communautés autochtones comme la nôtre – dont les moyens d'existence dépendent souvent du milieu naturel – vont continuer de payer un lourd tribut aux changements climatiques. Il est grand temps que la communauté internationale nous vienne en aide.

© Helen Biangalen-Magata

La fin d'un équilibre

En tant que membre de la communauté kadaclan, j'ai vu de mes propres yeux l'impact des changements climatiques sur les populations autochtones.

Après que l'incendie d'avril a tari le point d'eau de notre village, ma famille a fait la queue pour collecter de l'eau à une autre source au débit insuffisant, à un kilomètre de distance. Elle a à peine obtenu de quoi couvrir ses besoins en eau pour une journée.

Pour la première fois de son histoire, après des siècles d'une vie en harmonie avec les ressources naturelles, ma communauté n'a eu d'autre choix que de payer pour se faire livrer de l'eau. « Les gens dépensent jusqu'à 2 USD pour un baril d'eau », m'a dit ma mère.

Ce feu de forêt s'est produit alors que la région était déjà en proie à une longue période de sécheresse dévastatrice. Durant l'été, les paysans kadaclans plantent généralement du riz, du maïs et d'autres légumes sur leurs terres d'altitude mais cette année, faute de pluie, nombre d'entre eux ont été forcés d'abandonner leurs champs.

Même les herbes comestibles, comme le parya (une courge sauvage au goût amer), le sapsappon (une plante aux fleurs rouges) et l'amti (morelle noire), étaient introuvables. Nous devrions déjà être en train de préparer les rizières pour la prochaine saison des semis mais celles-ci sont à sec.

Maintenant qu'El Niño est passé, le pire est sans doute derrière nous mais il ne fait aucun doute que nous n'avons pas encore vu toute l'étendue des conséquences des incendies et de la sécheresse.

La communauté internationale face à son inertie

Pendant que nos forêts brûlaient, à plus de 10 000 km de là, en Allemagne, les responsables mondiaux débattaient de notre avenir à tous. Mais la Conférence de Bonn sur les changements climatiques s'est achevée sur une note inquiétante: les participants n'ont convenu d'aucune trajectoire claire pour atteindre les objectifs actuels en matière de financement de l'action climatique.

Chacun sait que les ressources financières sont essentielles pour assurer l'adaptation aux changements climatiques et l'atténuation de leurs effets. Le problème est que la communauté internationale ne parvient ni à s'entendre sur le montant dont les pays en développement ont besoin, ni à répondre à la question de savoir qui doit payer et dans quelles proportions.

Pendant ce temps, les besoins continuent de croître. La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques estime que les pays en développement nécessiteront près de 5 900 milliards d'USD jusqu'en 2030 pour mettre en œuvre l'Accord de Paris. L'année dernière, la COP28 a annoncé que les flux financiers internationaux en direction des pays en développement étaient en hausse mais ils restent bien insuffisants.

Quant aux rares fonds effectivement alloués à l'action climatique, ils ne vont pas à celles et ceux qui en ont besoin. Entre 2011 et 2020, moins de 1% de l'aide internationale consacrée aux changements climatiques a été allouée à la gestion des terres et des forêts par les peuples autochtones, qui n'ont trop souvent tout bonnement pas voix au chapitre en la matière. Toujours l'année dernière, la COP 28 n'a inclu aucune donnée sur l'accès des peuples autochtones au financement de l'action climatique.

Un investissement pour nous tous

Le constat est particulièrement alarmant, d'autant plus si l'on considère le rôle crucial que les peuples autochtones jouent dans la lutte contre les changements climatiques.

Parce que nous avons une relation privilégiée avec la nature et notre terre, nous sommes les gardiens de notre planète depuis des générations. En tant que gardiens de plus de 25 % de la surface de la Terre, la déforestation sur les terres autochtones est souvent moindre qu'ailleurs, y compris par rapport aux parcs nationaux.

Les petits producteurs et productrices des communautés autochtones pratiquent l'agriculture durable depuis des siècles. Leur savoir traditionnel est d'une valeur inestimable pour l'atténuation des changements climatiques et l'adaptation à ces phénomènes, en particulier dans le domaine agricole.

Il est essentiel que les peuples autochtones reçoivent des financements accrus et ciblés pour continuer de jouer ce rôle indispensable. C'est grâce à de tels financements que nous serons à même de déterminer les mesures prioritaires en matière de climat et de les mettre en œuvre, pour le bien de la planète tout entière.

Les décideurs mondiaux doivent comprendre que la question n’est pas simplement d'améliorer les moyens d'existence des peuples autochtones. Renforcés, nos communautés et nos territoires pourront rester des oasis de résilience climatique, tout en contribuant à la transformation de l'entièreté des systèmes alimentaires, pour le bien de tous.

*

Il est temps de faire en sorte que le financement de l'action climatique arrive aux peuples autochtones. Se contenter d'accroître les fonds alloués au financement climatique ne suffit pas: la communauté internationale doit faire les choix qui s'imposent pour garantir que ces investissements parviennent bien jusqu'aux populations autochtones.

Aider les communautés autochtones à concrétiser leurs priorités climatiques n'est pas uniquement un impératif moral. C'est un acte indispensable à la promotion du développement durable, de la justice sociale et de la croissance inclusive pour tous.

Approfondir