Paroles rurales | 18 février 2025

Agriculteurs et agricultrices, fers de lance d'un avenir durable grâce aux outils numériques

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Si la quasi-totalité des professions ont été révolutionnées par les technologies numériques, l'agriculture paysanne dans les pays en développement n’a pas encore tiré son épingle du jeu.

Et quand des outils d'agriculture numérique existent, ils sont souvent extrêmement difficiles à mettre en place et à exploiter, et requièrent souvent de souscrire à un abonnement trop onéreux pour les petits producteurs et productrices agricoles. C'est là le résultat d'un processus surplombant qui ne leur offre pas les informations et les services dont ils ont besoin.

Car lorsqu'ils sont conçus en fonction des besoins et du contexte des populations rurales, ces outils numériques peuvent changer la donne, tant pour les petits producteurs que pour les systèmes alimentaires durables dans leur ensemble. C’est ce que l’on appelle la co-création et c’est l'un des principes clés de l'agroécologie, qui est au cœur du programme de transition agroécologique financé par l'Union européenne.

Dans le cadre de ce programme, le FIDA, ainsi que l'Alliance de Bioversity International et du Centre international d'agriculture tropicale, l'Institut international de recherche sur le riz et Solidaridad Latinoamerica, testent l'utilisation d'outils numériques afin de mettre les systèmes alimentaires au service d'un avenir plus durable et agroécologique.

Au Viet Nam, des outils ont été conçus en collaboration avec des agriculteurs et agricultrices, l'objectif étant que les communautés puissent contrôler les résultats de leurs exploitations et s'adapter aux changements climatiques. © Trang Le/IRRI

La mue du Mékong

Le delta du Mékong est le grenier à riz du Viet Nam mais, à l'échelle du pays, ses habitants comptent parmi les plus exposés aux changements climatiques sur le plan économique. La riziculture en elle-même contribue de manière importante aux émissions de gaz à effet de serre, essentiellement en raison d'une utilisation non durable de l'eau et des engrais.

Le programme « 1 Must-Do, 5 Reductions » (1M5R), élaboré par le Gouvernement vietnamien, promeut l'agroécologie en encourageant agriculteurs et agricultrices à planter des semences de grande qualité et à réduire le débit de semis, ainsi que l'utilisation d'engrais, de pesticides et d'eau, tout en réduisant au minimum les pertes après récolte.

Grâce aux outils numériques, imaginés avec les agriculteurs et agricultrices, ces derniers disposent désormais des connaissances et des moyens nécessaires pour adopter l'approche 1M5R et s'adapter aux changements climatiques. Par exemple, grâce à WaterIntel, les paysans du delta du Mékong reçoivent chaque jour des SMS avec des informations mises à jour sur les niveaux d'eau dans les rizières, leur permettant de savoir précisément quand irriguer leurs cultures.

Au Viet Nam, des agriculteurs suivent les résultats de leur exploitation sur leur téléphone portable. © Trang Vu/IRRI

Avec FarMoRe, développé par l'Institut international de recherche sur le riz avec l'appui du programme de transition agroécologique, les agriculteurs peuvent suivre les résultats de leur exploitation et les mettre en regard avec les pratiques de référence de 1M5R en faveur de la durabilité et les résultats d'autres producteurs de leur communauté. Cet outil intègre une application de gestion de l'eau et un calculateur des émissions carbone des rizières, qui permettent aux agriculteurs et agricultrices de réduire les coûts alloués aux intrants et ainsi d'améliorer leurs revenus, tout en préservant l'environnement.

Déployé dans un premier temps à titre pilote dans cinq coopératives agricoles, FarMoRe a été retenu par le Gouvernement, qui prévoit d'étendre son utilisation: 1,5 million de producteurs et productrices dans les 12 provinces du Mékong commenceront ainsi à cultiver un riz de qualité supérieure et à faible émission.

Du bétail à l’avant-garde

Dans l'État de Pará, au Brésil, l'élevage est un facteur majeur de déforestation de l'Amazonie. Les petits producteurs et productrices de la région pourraient tout à fait mettre en place des systèmes d'élevage régénérateurs à même d'accroître les revenus des familles, tout en diversifiant les types d'exploitation et en réduisant la déforestation.

Mais ils ont difficilement accès aux informations techniques qui leur permettraient de passer à l'agroécologie. C'est pourquoi le FIDA et ses partenaires ont soutenu le développement de Solis, une application de communication numérique créée par Solidaridad Latinoamerica en collaboration avec des petits producteurs et productrices agricoles. Solis permet à ces derniers d'accéder à des informations sur l'agriculture durable, de les faire circuler et d'échanger entre eux.

« Parfois, quand on parle de technologies, on s'imagine que ce n'est que pour les villes. Mais elles sont très utiles sur les exploitations », explique Marciana, agricultrice de 20 ans, qui est convaincue que les outils numériques sont le moyen d'élargir les perspectives des jeunes des zones rurales. « Pour nous, agriculteurs et agricultrices, le fait d'être connectés à une application spécialement conçue pour nous, qui nous donne des informations fiables, c'est tout bonnement incroyable ».

Marciana est convaincue que les jeunes ruraux transformeront l'agriculture en se familiarisant avec les outils numériques. © Solidaridad Network

Sur l'application, des agents de vulgarisation élaborent des plans d’action afin d'accompagner les agriculteurs dans leur transition progressive vers l'agroécologie. Les producteurs et les ambassadeurs de la jeunesse y partagent les meilleures pratiques et postent des vidéos informatives divertissantes sur un large éventail de sujets, allant des pâturages tournants à la lutte contre les nuisibles.

Ces pratiques ne sont pas nouvelles mais parce que le système de vulgarisation agricole brésilien a une portée et une efficacité limitées, la plupart des petits producteurs et productrices ne bénéficient pas de l'assistance technique qui leur permettraient d'adopter de nouvelles techniques agricoles.

En utilisant Solis, ceux-ci apprennent non seulement auprès des agents de vulgarisation, mais aussi de leurs pairs.

Il y a quelques années encore, Irivelton, producteur laitier, ignorait qu'il allait devenir un phénomène sur les réseaux sociaux. Aujourd'hui, les agriculteurs de sa région attendent avec impatience les vidéos qu'il publie sur Solis pour montrer les solutions agroécologiques peu onéreuses qu'il a mises en place sur son exploitation. Les 26 vidéos déjà publiées ont donné lieu à des échanges animés entre les producteurs, qui font circuler les informations.

Irivelton, producteur laitier, poste sur Solis des vidéos sur les solutions agroécologiques qu'il a mises en place. © Réseau Solidaridad

« Le principe même de l'agroécologie est de ne pas faire de mal à la nature », dit Irivelton. « Il s'agit de travailler de manière durable et saine, et de vivre de la terre mais sans l'attaquer et hypothéquer l'avenir des générations futures ».

En tirant parti des technologies pour réduire l'écart entre expertise et application concrète, Solis permet aux petits producteurs et productrices au Brésil d'être à la pointe de l'agriculture durable.


Au Brésil et au Viet Nam, les outils numériques conçus avec et pour les paysans sont la preuve que les technologies peuvent être un outil d'autonomisation plutôt que d'exclusion. Grâce à ce coup de pouce technologique, les agriculteurs et agricultrices seront les fers de lance de la transition vers un avenir durable.

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