Au Brésil, une "révolution silencieuse" des femmes rurales soulève un voile d’invisibilité

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Au Brésil, une "révolution silencieuse" des femmes rurales soulève un voile d’invisibilité

Temps de lecture estimé: 5 minutes

© Manuela Cavadas

Dans le nord-est du Brésil, comme dans de nombreuses autres régions du monde, le travail des femmes rurales passe souvent inaperçu. Leur rôle familial, tant en ce qui concerne les tâches ménagères et l'éducation des enfants que leurs activités (agricoles ou non), est essentiel mais souvent ignoré. Heureusement, cette situation commence à changer. Une "révolution silencieuse" , comme le dit l’Entité des Nations Unies pour l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes, est en cours et le FIDA y contribue. Cette révolution prend la forme d'un simple registre.

"Le travail des femmes rurales n'est généralement pas reconnu. Quand on les interroge, ces femmes déclarent le plus souvent dépendre de leur mari et ne pas travailler", explique Marcejane Duarte de Almeida, membre de la communauté des Caraíbas de l'État de Bahia. "Le registre agroécologique a changé la donne et nous permet de nous rendre compte de l’importance de notre contribution".

Ce registre acroécologique est très simple: il comporte quatre colonnes dans lesquelles les femmes indiquent la valeur des différents produits qu'elles vendent, donnent, échangent ou consomment. Elles peuvent ainsi, chaque semaine ou chaque mois, calculer (et justifier) leur contribution aux dépenses de leur ménage.

Ces femmes ne font que simplement mettre en lumière la valeur du travail qu'elles ont toujours accompli.

Les participantes au projet avec leur registre – © Semear International

"Nous pouvons désormais mesurer la valeur de ce que nous produisons, consommons, donnons, échangeons et vendons. Quand je comptabilise ma production – lait, haricots, œufs, poulets, gâteaux – le résultat me surprend. Je constate que tout ce que je fais a une valeur", déclare Maria Alves Santana, de la communauté de Cacimba Nova, dans l'État de Sergipe.

La contribution du FIDA à cette "révolution silencieuse" a commencé en novembre 2018, quand les représentants de Semear International, une organisation née du partenariat entre le FIDA et l'IICA, ont entendu parler pour la première fois de ce registre et de sa contribution à l’émancipation des femmes rurales dans les États du sud du Brésil. Ils ont alors collaboré avec des experts des questions de genre et de l’inclusion sociale pour intégrer le registre aux projets financés par le FIDA. Après un séminaire, organisé en juillet 2019 à Recife, dans l'État de Pernambouc et réunissant 80 femmes (personnel de projet et participants locaux), ces registres agroécologiques ont commencé à être utilisés dans le cadre des projets financés par le FIDA au Brésil.

Aujourd'hui, ce sont 879 femmes rurales dans huit États qui reproduisent l’expérience de Marcejane et de Maria.

Les participantes se réunissent régulièrement pour partager leurs expériences – © Semear International

"Ces registres permettent de mesurer la grande contribution des femmes au budget familial, qu'il s'agisse d'activités comme l'entretien du potager, l'artisanat, la couture, l'élevage de petits animaux, l'exploitation d'un jardin collectif ou la cuisine", explique Fabiana Viterbo, coordinatrice de Semear International. En consignant ces informations, nous mettons en lumière un travail auparavant qualifié d'"aide", de "tâches ménagères" ou d'"activités féminines", et nous soulignons la contribution aussi bien monétaire que non monétaire des femmes à l'économie de leur famille."

En prenant conscience de la valeur de leurs activités, ces femmes acquièrent une plus grande autonomie et un plus grand pouvoir de décision, à plusieurs égards. L'utilisation des registres agroécologiques renforce souvent les liens entre elles, créant ainsi un sentiment d’appartenance à un groupe. Les utilisatrices organisent régulièrement des réunions pour partager leurs expériences, leurs résultats, leurs questions et leurs difficultés concernant la tenue des registres. Elles échangent également entre elles sur leur vie privée, trouvant un soutien psychologique, ou bien financier parfois, au sein de ces groupes. 

Les participantes se réunissent pour discuter de la question du féminisme dans l'agroécologie – © Semear International/Manuela Cavadas

Ces registres ont également d'autres effets positifs. Dès lors que leur contribution est apparue clairement, de nombreuses femmes ont vu leurs relations avec leur mari et leurs proches évoluer positivement. Beaucoup d'entre elles ont souligné la nécessité d'inclure leur famille dans les débats concernant le féminisme en agroécologie. Le personnel du projet a volontiers facilité les discussions, contribuant ainsi à une meilleure et plus juste répartition des tâches, tant au sein des foyers que dans les champs.

"Ce projet de registre a été très révélateur pour les équipes d'assistance technique chargées de la mise en œuvre des plans opérationnels et des autres activités de projet soutenus par le FIDA, car il met en lumière la question de l'égalité des sexes et la contribution des femmes", explique Fabiana. Avec d'autres membres du personnel du projet, Fabiana a constaté que les registres contribuaient aussi à diffuser des innovations, telles que l'utilisation domestique de plantes médicinales. Plus important encore, ce projet donne aux femmes la possibilité de participer davantage aux décisions prises dans les coopératives et associations de producteurs auxquelles elles appartiennent, renforçant ainsi l'économie de leur communauté.

En dernière analyse, plus que les paroles des experts, ce sont les témoignages et les expériences des participantes qui importent vraiment.

"Les femmes de la région ont pris conscience du fait que leur revenu ne représentait que la moitié du revenu minimum environ", explique Geovanne da Silva Barreto, qui habite à Sitio do Meio, un village de paysans sans terre de la municipalité d'Itiúba, dans l'État de Bahia. "Nous les femmes, nous pouvons réaliser de grandes choses. Nous pouvons être indépendantes."

 

Découvrez d'autres histoires comme celles de Marcejane et de Maria, dans le livre récemment publié par Semear International sur les registres agroécologiques. À lire en portugais.