Ce que "bien" cuisiner veut dire. Entretien avec la cheffe cuisinière Dhondy

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Ce que « bien » cuisiner veut dire. Entretien avec la cheffe cuisinière Anahita Dhondy

Temps de lecture estimé: 5 minutes

La cheffe cuisinière Anahita Dhondy est une fière défenseuse de la nourriture parsie, la riche cuisine de la communauté zoroastrienne, en Inde, à laquelle elle appartient. La cuisine parsie est faite à partir d’ingrédients locaux, saisonniers et durables, et notamment de différents types de céréales nutritives originaires de l’Inde qui ont été largement mises de côté ces dernières décennies.

Entre son premier restaurant, SodaBottleOpenerWala, et ses interventions dans les médias et sur les réseaux sociaux, cette cheffe cuisinière s’efforce de redonner vie aux recettes perdues, de présenter la cuisine parsie à de nouveaux publics et d’encourager les pratiques alimentaires durables.

Nous nous sommes entretenus avec elle à l’occasion de son adhésion à notre campagne Recettes du changement. La transcription de notre conversation ci-dessous a été adaptée pour des raisons de clarté et de longueur.

Votre nouveau livre, Parsi Kitchen, parle de la façon dont vous vous êtes approprié la cuisine dans laquelle vous baigniez quand vous étiez petite. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre héritage parsi et nous expliquer pourquoi vous avez choisi de le placer au cœur de votre propre cuisine?

J’ai grandi à New Delhi, en Inde, où la communauté parsie est très, très peu représentée. La communauté zoroastrienne est globalement très réduite et très soudée.

À l’école de cuisine, j’ai toujours senti que nos traditions culinaires n’étaient pas représentées. J’ai donc décidé de l’amener moi-même sur le devant de la scène, de toutes les façons possibles: mon premier restaurant, SodaBottleOpenerWala, mon livre et les réseaux sociaux. J’espère ainsi faire entendre et inculquer dans la vie quotidienne l’histoire, les ingrédients et les recettes de la cuisine parsie.

Le thème de la représentation est également très présent dans votre travail. Selon vous, à quels obstacles les cheffes cuisinières se heurtent-elles dans ce secteur?

On me pose cette question depuis l’époque où j’étais à l’école de cuisine, et j’ai toujours répondu la même chose. Un chef cuisinier est avant tout un professionnel, au même titre qu’un docteur, un ingénieur ou un professeur. Ce n’est pas le genre qui compte, c’est la fonction que ces personnes exercent. Pour moi, il est très important de renforcer ce fondement: en cuisine, il n’y a aucune différence entre les hommes et les femmes, parce que nos responsabilités sont exactement les mêmes.

C’est vrai, les femmes ne sont pas suffisamment représentées, et cela s’explique par nos cultures, qui incitent les gens à penser que les cuisines de restaurant ne sont pas un environnement adapté aux femmes. Mais le secteur connaît une évolution depuis 20 ans, et le nombre de femmes qui y travaillent est de plus en plus important. Plus les femmes grimperont les échelons, plus elles seront encouragées à essayer.

Vous êtes connue comme une grande partisane des céréales traditionnelles comme le sorgho et le millet. Pourquoi certaines céréales sont-elles favorisées à grande échelle, tandis que d’autres sont négligées et perdues?

Pendant la Révolution verte, la priorité a été donnée à certaines cultures, produites comme cultures de rente. C’est notamment le cas en Inde, où le marché a été incité à favoriser la culture de riz et de blé. Les millets, qui sont d’anciennes céréales indigènes de l’Inde, ont été complètement perdus dans le processus, parce qu’ils se vendaient à un prix dérisoire, et que la demande sur le marché était très faible.

Pour donner un peu plus de contexte, les millets sont de toutes petites céréales qui présentent une forte densité nutritionnelle et une grande teneur en protéines. Je pense notamment à un type de millet, l’éleusine cultivée, que nous appelons ragi en hindi. C’est une céréale sans gluten, qui contient trois fois plus de calcium que le lait.

Mais tout cela s’est perdu et nous avons arrêté de manger cette céréale. Cela fait dix ans maintenant que j’essaie de ramener ces millets dans la cuisine et de les remettre au goût du jour. Je voudrais amener les clients à les essayer et à les apprécier au restaurant, puis à les cuisiner à la maison, l’objectif étant de créer un cercle vertueux de la demande, qui aidera, espérons-le, les agriculteurs à les cultiver de nouveau. Je suis ravie d’annoncer que l’intérêt pour ces céréales va croissant et que beaucoup veulent les tester et les réintégrer dans leur régime alimentaire.

Quel rôle les chefs cuisiniers jouent-ils dans l’instauration d’un avenir plus durable pour l’alimentation?

Je pense que les chefs cuisiniers sont traditionnellement vus comme gérant une cuisine et sa brigade, comme des personnes qui travaillent dans l’ombre et qui ne sont jamais vraiment sous le feu des projecteurs. Mais je dis toujours aux jeunes qui viennent d’intégrer le secteur que les chefs cuisiniers peuvent s’acquitter d’une multitude de tâches.

Nous avons aujourd’hui une responsabilité beaucoup plus importante, qui est de faire le lien entre l’agriculteur et le consommateur. L’agriculteur est celui qui nous fournit les aliments que nous transformons en cuisine, et le consommateur est celui qui les apprécie. En tant que chef cuisinier, vous devez réfléchir à comment utiliser vos compétences et votre voix pour « bien » cuisiner, c’est-à-dire non seulement créer quelque chose qui sera bon au goût, et beau, mais qui soit aussi bon pour la planète et ses habitants.

Pourquoi avez-vous rejoint l’équipe des Recettes du changement?

J’ai toujours aligné mon travail sur les objectifs de développement durable et me suis toujours demandé comment nous, les chefs cuisiniers, pouvions contribuer à éradiquer la faim. Je sais que nous sommes très occupés à gérer nos restaurants, mais nous avons également une responsabilité sociale très importante, que nous devons intégrer dans notre emploi du temps. Il est crucial de sensibiliser le public, et le fait de rejoindre les Recettes du changement peut créer, selon moi, cet effet social et positif déterminant. 

Retrouvez l’enregistrement intégral de cet entretien (en anglais)

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