COP 26, quels enjeux pour les habitants des zones rurales du monde entier? Entretien avec Jo Puri

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COP 26, quels enjeux pour les habitants des zones rurales du monde entier? Entretien avec Jo Puri

Temps de lecture estimé: 8 minutes
©FIDA/Masy Andriantsoa

Le réchauffement de la planète est imputable aux émissions humaines provenant de l’utilisation de combustibles fossiles ainsi qu’à la dégradation des écosystèmes naturels qui absorbent ces émissions. Les effets sont de plus en plus manifestes à l’échelle du globe.

Début novembre, des scientifiques, des organisations de la société civile, des citoyens et des représentants des gouvernements du monde entier se réuniront à Glasgow pour la vingt-sixième session de la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP 26), le sommet sur le climat organisé par le Royaume-Uni en partenariat avec l’Italie. Les pays s’entendront sur des plans d’action pour limiter le réchauffement planétaire et faire en sorte que les sociétés et les économies puissent s’adapter à ces changements, qui sont désormais irréversibles.

Nous avons rencontré Jo Puri, climatologue et Vice-Présidente adjointe responsable du Département de la stratégie et des savoirs du FIDA, pour lui demander de nous parler de ce sommet et de ce qu’elle espère en voir ressortir.

Commençons par les bases. Qu’est-ce que la COP 26?

La COP 26 est la vingt-sixième Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques. Elle réunit les pays qui sont partie à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, ainsi que des citoyens, des scientifiques et des représentants du monde des affaires et de la société civile, pour discuter du défi le plus important auquel nous devons faire face: la crise climatique engendrée par les émissions de gaz à effet de serre, et les ravages qu’elle cause dans les communautés et les écosystèmes.

Mais la COP est plus qu’un simple forum de discussion. C’est aussi l’instance au sein de laquelle les pays prennent des engagements concrets sur les mesures qu’ils entendent mettre en place pour éviter que les changements climatiques ne deviennent incontrôlables et pour s’adapter à leurs effets.

Pourquoi la COP de cette année est-elle si importante?

La COP 26 est la réunion sur les changements climatiques la plus importante depuis la COP 21 de 2015, qui a débouché sur l’Accord de Paris. À l’époque, les pays s’étaient engagés à maintenir l’élévation des températures à l’échelle mondiale sous le seuil des 2 °C et à essayer de la limiter à 1,5 °C. Ils étaient également convenus d’un cycle de révision quinquennal pour évaluer les progrès accomplis.

La COP 26 est la première de ces révisions. Elle coïncide aussi avec la publication du sixième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui présente des données scientifiques sur l’évolution du climat.

Et les nouvelles ne sont pas bonnes. Les températures augmentent plus vite que jamais, et le réchauffement atteindra voire dépassera 1,5 °C dans les 20 prochaines années.

Les effets de ce réchauffement sont déjà bien perceptibles. Si vous vivez au nord de l’équateur, vous l’avez constaté par vous-même, car toutes les régions de l’hémisphère nord, sans exception, ont été touchées par des vagues de chaleur extrême en 2021.

Devant la rapidité avec laquelle ces effets, parmi d’autres, se font sentir, la COP 26 est notre appel à l’action. Ce sera peut-être notre dernière chance de freiner l’emballement du climat et de nous préparer aux effets que le réchauffement aura sur des milliards d’êtres humains.

La COP 26 arrive en outre alors que nous nous relevons de la pandémie de COVID-19, juste au moment où nous nous apprêtons à repenser la normalité de nos méthodes de travail. Elle nous offre l’occasion, de travailler ensemble à une relance verte à l’échelle mondiale, en tenant compte des besoins des populations marginalisées.

Quel seront les priorités du FIDA pour la COP 26?

Près de 3,2 milliards de personnes, soit presque la moitié de la population mondiale, vivent dans les zones rurales. Elles dépendent, directement et indirectement, des systèmes agricoles et alimentaires pour gagner leur vie.

Pour la COP 26, le FIDA met l’accent sur les petits producteurs ruraux, qui fournissent la moitié des calories consommées dans le monde. Si ces petits producteurs ne parviennent pas à s’adapter aux changements climatiques, les systèmes alimentaires du monde entier seront gravement menacés.

C’est pour cette raison qu’il convient de les placer au cœur des discussions sur les changements climatiques, et notamment de s’intéresser aux investissements nécessaires pour les aider à s’adapter. À l’heure actuelle, le financement de l’action climatique ne leur offre pas l’accompagnement dont ils ont besoin. Il faudrait entre 140 et 300 milliards d’USD par an pour les aider à rendre leurs activités durables et résilientes face aux aléas climatiques, or en 2017-2018, 20 milliards d’USD par an seulement ont été affectés à l’agriculture, à la foresterie et aux autres utilisations des terres.

De quelle manière les changements climatiques touchent-ils ces petits producteurs?

Les effets sont déjà visibles: les phénomènes météorologiques extrêmes, plus fréquents, détruisent les cultures, tuent les animaux, réduisent les revenus et multiplient les rivalités au sujet des ressources naturelles. Les producteurs, et les écosystèmes dans lesquels ils vivent, n’ont pas le temps de se relever qu’ils sont déjà frappés par un nouveau choc; les difficultés s’installent ainsi sur le long terme.

Il y a ensuite les effets à plus long terme, comme l’évolution de la pluviosité, la fonte des glaciers et l’augmentation du niveau de la mer. Ils ont une incidence sur la quantité et le type d’eau dont disposent les producteurs, et entraînent une dégradation des terres arables. Certaines pratiques agricoles éprouvées ne fonctionnent plus. Des pêcheries établies de longue date subissent des modifications ou s’effondrent. L’augmentation de la concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère entraîne même une diminution de la valeur nutritionnelle de certaines cultures de base.

De nombreux habitants des zones rurales ne disposent pas de la résilience, de l’épargne ni des filets de sécurité nécessaires pour faire face. Lorsqu’ils subissent ce type de chocs à répétition, ils basculent dans la faim et la pauvreté. Ils abandonnent purement et simplement l’agriculture et migrent pour essayer de trouver d’autres moyens d’existence. La production alimentaire chute, les schémas sociaux changent.

C’est pour ces raisons que la communauté internationale doit accorder de l’attention aux petits producteurs, et leur apporter du savoir-faire et des moyens financiers pour les aider à s’adapter aux effets des changements climatiques et à les atténuer.

Comment les petits producteurs peuvent-ils contribuer à la lutte contre les changements climatiques?

Les petits exploitants, pêcheurs, éleveurs ainsi que les communautés autochtones, avec leurs systèmes alimentaires traditionnels, sont les gardiens des ressources naturelles du monde.

Les petites exploitations occupent un cinquième des terres agricoles de la planète. Aider ces exploitants à rendre leurs pratiques quotidiennes plus durables peut contribuer de manière notable à l’atténuation des effets des changements climatiques – au moyen de techniques agroforestières qui piègent le carbone, par exemple, ou grâce aux économies d’eau. D’autres actions, comme l’adoption de cultures tolérantes à la chaleur, la diversification de la production et la lutte active contre la dégradation de l’environnement, peuvent aider à adapter les systèmes alimentaires et à faire en sorte qu’ils fournissent une alimentation nutritive sans détériorer l’environnement.

Il est également essentiel de donner aux femmes rurales les moyens de leur autonomie. Les femmes sont des actrices majeures de l’économie rurale, mais comme elles sont rarement les décisionnaires, leur travail n’est guère reconnu. Or des études ont montré que les femmes étaient plus susceptibles d’utiliser des techniques agricoles climato-compatibles que les hommes.

Qu’attendons-nous de la COP 26?

À mesure que le buzz s’amplifie autour de Glasgow, au FIDA, nous nous efforçons d’attirer la lumière sur les habitants des zones rurales, qui sont les plus vulnérables aux effets des changements climatiques.

Lors de la COP 26, nous souhaitons voir les petits producteurs et les habitants des zones rurales à la place qui leur revient: au cœur des actions déployées pour répondre aux crises provoquées par les changements climatiques et le recul de la biodiversité ainsi qu’aux crises humanitaires.

Nous voulons obtenir en faveur des petits producteurs ruraux des engagements financiers et politiques fermes qui reconnaissent à la fois leur vulnérabilité et leur rôle dans l’instauration de systèmes alimentaires durables, adaptés au climat et résilients ainsi que dans l’atténuation des changements climatiques.

Le FIDA est présent dans certains des endroits les plus difficiles du monde. Ce sont des endroits où la pauvreté est un cercle vicieux et comme ils offrent si peu de possibilités et de perspectives, ce sont également ceux où des conflits surgissent. Il faut y opérer de grands changements pour sortir les gens de la pauvreté et commencer à rétablir un équilibre.

Nous espérons que les pays vont s’engager à aider ces populations à faire face aux incertitudes qu’ils connaissent : conflits liés aux changements climatiques, crises résultant des phénomènes météorologiques, incertitude des prix, manque de débouchés commerciaux. Si les pays entendent véritablement limiter les changements climatiques et aider les populations à faire face à leurs conséquences, ils doivent engager des ressources.

Le FIDA appuie des pratiques respectueuses du climat par l’intermédiaire de ses programmes ASAP et ASAP+ depuis près de neuf ans. Parallèlement, nous innovons dans le domaine des technologies numériques et des énergies renouvelables, et aide les petits entrepreneurs à regrouper leur production et à entrer en contact avec de grands investisseurs par l’intermédiaire de notre Programme de participation du secteur privé au financement. Au sein des organismes multilatéraux de premier plan, le FIDA possède l’un des systèmes de données les plus fiables et les plus sûrs et une grande richesse de connaissances scientifiques au service des populations rurales pauvres. Nous attendons des donateurs et des contributeurs qu’ils soutiennent généreusement ces programmes.

Nous avons conscience que les problèmes majeurs appellent des solutions majeures et des engagements ambitieux. Et parmi les problèmes majeurs, il n’y en a pas de plus grand que celui des changements climatiques.