Dans un monde de plus en plus urbanisé, la force des liens avec les zones rurales déterminera la résilience des villes

IFAD Asset Request Portlet

Agrégateur de contenus

Dans un monde de plus en plus urbanisé, la force des liens avec les zones rurales déterminera la résilience des villes

Temps de lecture estimé: 6 minutes
©FIDA/Marco Salustro

Face à l’urbanisation du monde, nombreux sont ceux qui pensent que les villes sont la clé d’un avenir où les ressources sont utilisées de façon efficiente et durable. On estime que les avantages environnementaux potentiels des villes, des simples économies d’échelle aux efforts actifs pour devenir une "ville durable" – sur le plan écologique, social et économique –, l’emportent sur les inconvénients. Or la réalité n’est pas si simple. Les villes peuvent avoir de profonds effets positifs ou négatifs sur les zones qui les entourent – à savoir les communautés rurales, proches ou distantes – et sur l’environnement.

En vue de rendre les villes plus durables, une grande attention est souvent accordée aux choix des consommateurs urbains. Il est certes crucial d’éduquer ces derniers quant à l’incidence de leurs habitudes de consommation individuelles et collectives sur l’environnement qui les entoure. Néanmoins, la durabilité urbaine ne peut être atteinte en autarcie. Les villes ne peuvent être durables que si elles sont entourées de zones rurales prospères – en particulier celles qui ont un secteur agricole résilient, productif et rémunérateur.

À mesure que le monde s’urbanise, les zones rurales doivent subir leur propre transformation de façon à pouvoir fournir de manière efficiente et durable davantage d’aliments, d’eau propre et de services environnementaux. Étant de plus en plus interdépendantes, les économies urbaines et rurales doivent aussi être mieux connectées entre elles. Pour renforcer de façon globale l’ensemble du système alimentaire, il faut s’intéresser à la fois à la production et à la consommation. À cet égard, il importe tout autant d’accroître la production agricole à petite échelle que d’améliorer la consommation et la nutrition.

Un aspect central de ces transformations est la préservation de la biodiversité. Il s’agit d’une composante essentielle de la gestion durable des ressources naturelles, dont l’omission aurait à coup sûr des conséquences économiques et sociales dévastatrices pour les populations rurales et urbaines. Par exemple, dans le cadre d’une étude, la Commission européenne a prédit que l’absence de mesures de conservation de la biodiversité entraînerait des pertes de l’ordre de16 500 milliards d’USD (14 000 milliards d’EUR) par an d’ici à 2050. Afin de limiter de telles pertes, il faut d’urgence transformer la façon dont les ressources naturelles sont utilisées dans l’ensemble du continuum rural-urbain.

Toutes ces difficultés font partie des sujets prioritaires abordés dans le cadre du débat sur la durabilité en Amérique latine et dans les Caraïbes, région caractérisée par son urbanisation et sa biodiversité. Il s’agit de la région en développement la plus urbanisée au monde, concentrant 80% des habitants dans les villes. Elle est aussi l’une des régions les plus riches en ressources naturelles. À elle seule, l’Amérique du Sud accueille plus de 40% de la biodiversité de la planète et plus d’un quart des forêts – y compris la forêt amazonienne, qui est la région possédant la plus grande diversité biologique au monde.

Une chance unique s’offre donc à la région de l’Amérique latine et des Caraïbes, celle d’être un chef de file du mouvement en faveur de la durabilité, en particulier dans le contexte de l’urbanisation. Les produits et services liés à la biodiversité sont d’une importance cruciale pour l’économie de la région, dont la croissance à long terme peut être stimulée par leur utilisation durable et stratégique. Par ailleurs, les systèmes alimentaires de la région reposent toujours essentiellement sur des petites exploitations, qui produisent plus de 70% des calories alimentaires consommées en Amérique latine et dans les Caraïbes et sont indispensables au maintien de la diversité nutritionnelle.

Toutefois, la région rencontre également de grandes difficultés à cet égard. Dans les zones rurales, les possibilités d’emploi et l’accès aux actifs restent très limités, ce qui pousse un nombre disproportionné de jeunes, en particulier de jeunes femmes, à migrer vers les zones urbaines. Cependant, même si les villes d’Amérique latine et des Caraïbes concentrent d’importantes richesses, elles concentrent tout autant de pauvreté. Elles sont malheureusement parmi les villes les plus inégalitaires au monde.

La situation actuelle en Amérique latine et dans les Caraïbes est caractérisée par un déséquilibre fondamental entre zones rurales et zones urbaines, et les solutions qui s’offrent à la région sont en grande partie axées sur le rétablissement de cet équilibre. Les pays de la région peuvent accroître les avantages économiques issus de la biodiversité et des écosystèmes locaux en investissant dans les secteurs clés liés à la biodiversité, comme l’agriculture, les pêches, la foresterie, les services concernant l’eau, les zones protégées et le tourisme, qui sont tous essentiels à l’économie de la région, et en les restaurant. En parallèle, il est indispensable d’encourager les jeunes à rester dans les zones rurales si l’on veut favoriser l’innovation dans des secteurs tels que l’agriculture, étape incontournable des transformations qui doivent s’opérer. Il est possible de réduire la migration et de créer des économies rurales dynamiques, diverses et résilientes en rendant plus attractif le fait de vivre et de travailler en milieu rural. De fait, ce type de solutions peut être appliqué dans de nombreuses autres régions du monde.

Il est également primordial de resserrer les liens entre zones rurales et zones urbaines afin d’améliorer la résilience face aux chocs et aux crises. En temps de crise, la défaillance du système alimentaire peut mener à la propagation à grande échelle de la pauvreté et de l’insécurité alimentaire, ce qui exacerbe les effets du choc initial. Le choc le plus récent est évidemment la pandémie de COVID-19. Dès les premiers jours, cette dernière a mis en lumière la fragilité de nos systèmes alimentaires, perturbant les chaînes d’approvisionnement et causant la perte de revenus. Pour faire face à de tels chocs, il faut en priorité garantir la disponibilité des denrées alimentaires pour les populations rurales et urbaines et veiller à ce que celles-ci aient accès à des revenus leur permettant d’acheter de la nourriture. Ici encore, des liens étroits entre zones rurales et zone urbaines sont l’élément clé: ils renforcent la résilience des petits agriculteurs, ce qui crée des filières et des systèmes alimentaires eux aussi plus résilients.

La résilience des systèmes alimentaires est indispensable pour contrecarrer les effets des chocs à court et à moyen termes comme la pandémie, mais aussi des phénomènes préoccupants à long terme comme les changements climatiques. À cet égard, des liens étroits entre zones rurales et zones urbaines peuvent amortir l’incidence de l’instabilité du climat et de toute fluctuation des prix qui en découle. L’investissement dans des filières inclusives, dans lesquelles les acteurs ruraux ont suffisamment accès aux intrants agricoles nécessaires et aux marchés, ne fera qu’accroître la résilience des systèmes alimentaires.

Les petits exploitants ruraux sont une composante essentielle du monde de l’après-COVID-19. Ils peuvent aider nos sociétés à s’urbaniser de façon durable tout en évitant la propagation de la faim à grande échelle et en devenant plus résilientes face aux chocs – à condition que nous travaillions avec eux et que nous investissions dans leurs activités.