De l’importance de la souveraineté alimentaire pour les peuples autochtones - Une conversation avec Elifuraha Laltaika

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De l’importance de la souveraineté alimentaire pour les peuples autochtones - Une conversation avec Elifuraha Laltaika

Temps de lecture estimé: 7 minutes
©FIDA/Francesco Cabras

Les populations en proie à l’insécurité alimentaire entendent les mêmes conseils jour après jour depuis des dizaines d’années: accroître la production alimentaire, tester de nouvelles variétés (voire de nouvelles espèces), intégrer les marchés mondiaux pour trouver une clientèle de plus en plus large. Mais ces méthodes ne conviennent pas toujours aux peuples autochtones. Leurs systèmes alimentaires favorisent l’utilisation d’espèces indigènes, des pratiques agricoles traditionnelles, tout comme les modes de transformation, ainsi qu’une production et une distribution à l’échelle locale. Les stratégies utilisées pour les aider à parvenir à la sécurité alimentaire doivent par conséquent garantir le respect des cultures, traditions et systèmes alimentaires existants dans chaque communauté.

Par-delà l’idée de sécurité alimentaire, les peuples autochtones insistent sur le caractère central de la souveraineté alimentaire. Souveraineté et sécurité alimentaires accordent de l’importance aux mêmes choses, mais avec l’idée de souveraineté alimentaires, on va un peu plus loin en examinant et en interrogeant les méthodes mises en œuvre au service de la sécurité alimentaires. Les peuples autochtones ont tendance à définir la souveraineté alimentaire comme le droit « de choisir, de cultiver et de préserver leurs pratiques alimentaires et valeurs bioculturelles ». La souveraineté alimentaire pourrait encore être décrite, selon le Dr Million Belay, coordinateur général de l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique, comme le fait d’être « propriétaire de son alimentation », c’est-à-dire d’avoir le droit de produire ses propres aliments et de contrôler les moyens utilisés pour les produire.

Nous avons souhaité en savoir plus sur la souveraineté alimentaire et sa signification pour les peuples autochtones, et avons donc interrogé Elifuraha Laltaika, professeur de droit à la Tumaini University Makumira et spécialiste des droits des peuples autochtones. La transcription de notre conversation ci-dessous a été adaptée pour des raisons de clarté et de longueur.

Que signifie « souveraineté alimentaire », en particulier pour les peuples autochtones?
Le terme de « souveraineté alimentaire » suscite un intérêt grandissant à l’échelle mondiale ces dernières années. En gros, il suppose de donner le contrôle aux communautés en matière de prise de décisions relatives à la production et à l’approvisionnement alimentaires. Il revêt une dimension supplémentaire pour les peuples autochtones, compte tenu de l’importance culturelle et spirituelle des produits alimentaires et des terres sur lesquels ils sont récoltés.

Nous savons que de nombreuses menaces pèsent sur la souveraineté alimentaire des peuples autochtones. Selon vous, quels sont les principaux défis pour la souveraineté alimentaire dans le monde?
Il y en a beaucoup, vous le dites vous-même. Mais c’est sur les préjugés que je voudrais insister. Les aliments autochtones sont, et ont toujours été, regardés de haut, et ce de façon délibérée par les personnes qui ont d’autres produits à vendre. Nous devons aider les peuples autochtones à se sentir fiers de leurs systèmes alimentaires et à montrer au reste du monde que des modes de production alimentaire différents marchent tout aussi bien.

L’autonomie est l’un des éléments centraux de la thématique de la session de l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones (UNPFII) de cette année. Pouvez-vous nous parler des liens entre souveraineté alimentaire et autonomie
Pour les peuples autochtones, l’autonomie est au cœur de tous les débats. Au sens large, elle se définit comme la capacité à prendre des décisions et à les mettre en œuvre à son propre rythme. Il s’agit d’une sorte de résistance contre une injonction extérieure, si vous voulez. La souveraineté alimentaire (la capacité à décider, par exemple, des types de semences utilisés, et donc des types de semences dont la génération suivante héritera) protège donc l’autonomie des peuples autochtones. Nous pouvons affirmer que la souveraineté alimentaire et l’autonomie sont indissociables.

Les droits humains figurent parmi les six points du mandat de l’UNPFII. Pourriez-vous décrire les liens existant entre souveraineté alimentaire et droits humains?
L’alimentation est un droit humain reconnu à l’échelle internationale. Mais, je le répète, elle revêt une dimension supplémentaire pour les peuples autochtones, sur les plans spirituel et culturel. Voici un exemple concret: certaines cérémonies culturelles et religieuses sont marquées par la consommation d’aliments particuliers. Dans ma propre communauté pastorale, certains types d’animaux sont donnés en dot. Il est donc quasiment impossible de séparer production alimentaire, consommation alimentaire, et même récolte alimentaire dans de nombreuses cultures.

Qu’en est-il des liens entre souveraineté alimentaire et environnement?
En 2019, les discussions de l’UNPFII portaient, entre autres, sur les mesures à prendre pour réfuter les allégations selon lesquelles la production alimentaire autochtone détruirait l’environnement. Ces allégations ont notamment été utilisées comme justification pour chasser des peuples autochtones de leurs propres terres. Mais la littérature scientifique a prouvé que les systèmes alimentaires autochtones étaient indissociables de la viabilité environnementale, et beaucoup plus compatibles avec elle que les autres. Toute résistance face aux techniques modernes comme la monoculture et la production alimentaire de masse résonne avec la nature même des peuples autochtones et leur intention de préserver leur environnement, dont ils dépendent pour survivre.

Quelles mesures les organisations intergouvernementales comme le FIDA doivent-elles adopter pour veiller à ce que les peuples autochtones puissent maintenir leur souveraineté vis-à-vis de leurs terres et systèmes de production alimentaire?
L’ensemble du système des Nations Unies a beaucoup progressé sur la question, en adoptant de nombreux cadres et normes relatifs à la situation des peuples autochtones, qu’il convient désormais de mettre en œuvre. Le FIDA lui-même a joué un rôle de premier plan dans ce domaine, par exemple avec son Mécanisme d’assistance pour les peuples autochtones, un fonds destiné à aider les communautés autochtones à mettre en œuvre certaines des normes prévues par les cadres juridiques.

Je suis personnellement en faveur de donner directement aux communautés les moyens dont elles ont besoin. En tant que chef d’équipe pour l’Afrique au sein du Mécanisme, j’ai étudié de nombreuses propositions de financement, et j’ai été frappé par leur caractère innovant. Si ces propositions sont financées, elles peuvent réellement changer les choses.

Elifuraha Laltaika est professeur de droit et directeur du service de recherche et de conseil à la Tumaini University Makumira (Arusha, Tanzanie). Il est titulaire d’un doctorat en droit de l’Université de l’Arizona, de deux Masters de droit, respectivement de l’Université de l’Oregon et l’Université du KwaZulu-Natal, et d’une licence de droit obtenue à l’Université de Dar es-Salaam. Lauréat du programme Fulbright, il a travaillé comme chercheur invité à la Harvard Law School et comme conférencier invité dans différentes universités du monde entier. 
Entre 2017 et 2019, Elifuraha Laltaika a travaillé comme membre expert de l’Instance permanente sur les questions autochtones des Nations Unies. Il était auparavant chercheur principal au sein du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, à Genève, et il a mis en pratique ses compétences en recherche dans le domaine du droit international et des droits des peuples autochtones au sein du Programme Indigenous Peoples Law and Policy (IPLP) de l’Université de l’Arizona.​​​