Développer la baie, une huître à la fois - Conversation avec le chef cuisinier Rob Rubba

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Développer la baie, une huître à la fois - Conversation avec le chef cuisinier Rob Rubba

Temps de lecture estimé: 6 minutes

Rob Rubba est un chef américain qui s’est fait connaître un ouvrant un restaurant raffiné après avoir été formé dans des établissements étoilés Michelin aux États-Unis. Aujourd’hui, avec son nouvel restaurant, il concrétise son engagement en faveur de l’environnement. Situé dans la baie de Chesapeake, à Washington, Oyster Oyster sert des huîtres, comme son nom l’indique (c’est ce que veut dire oyster en anglais), mais aussi d’autres plats durables, l’objectif étant de redynamiser l’écosystème local.

Nous avons rencontré le chef Rubba pour parler gastronomie durable, régénération de l’environnement et, bien sûr, bonne chère.   

(Les réponses de Rob Rubba ont été retravaillées par rapport à l’entretien original en anglais disponible ci-dessus afin de gagner en concision et en clarté)

 

Comment mettez-vous l’idée de développement durable en pratique dans votre restaurant?

Pour nous, l’une des choses les plus importantes est de se fournir localement. Mais cela ne veut pas dire que nous sommes durables pour cette seule raison. Nous travaillons avec des exploitants qui prennent soin de leurs terres par leurs choix – non-labourage, enrichissement des sols ou autres pratiques biologiques  – et qui ne se contentent pas simplement de produire.

Le zéro-déchet est un aspect important à nos yeux. Aucun produit n’intègre notre carte sans que l’on sache à l’avance ce que l’on va faire avec chacune des parties qui le composent. Tout ce qui ne peut pas trouver sa place sur le menu finit au compost. Et pour nous, être zéro-déchet, c’est aussi contrôler la consommation d’eau. C’est une ressource précieuse et j’ai l’impression qu’aux États-Unis, on la croit inépuisable alors que ce n’est pas le cas.

Enfin, notre restaurant est principalement végétarien, à l’exception des huîtres, de sorte que nous ne contribuons pas aux émissions de gaz à effet de serre associés à la production de viande.

À quel moment vous êtes-vous détourné de la production alimentaire traditionnelle pour adopter une approche axée sur la réduction maximale des déchets et la défense de l’environnement?

Je crois que les graines de mes convictions écologiques ont été plantées lorsque j'étais enfant. Mais c’est avec mon dernier restaurant, en 2016, que l’idée a véritablement commencé à germer. Cet établissement était très fréquenté et nous utilisions énormément de produits. Plus je regardais la quantité de déchets produite, plus je comprenais à quel point nous n’étions pas dans une démarche durable, à quel point c’était égoïste d’une certaine façon – il s’agissait davantage de satisfaire notre égo que de contribuer au bien commun. C’est à partir de ce moment-là que j’ai adopté une approche soucieuse de l’environnement et développé ce qui allait devenir Oyster Oyster.

Dans la baie de Chesapeake, la biodiversité recule depuis plusieurs années. Quelles en sont les causes et quelles espèces sont les plus touchées?

Les huîtres constituent depuis toujours une part colossale de l’économie de la baie de Chesapeake et elles ont été récoltées de façon si intense qu'aujourd'hui, il ne reste que 1% de la population originale. Cela a complètement détruit les bancs d’huîtres qui abritent une multitude d’autres êtres vivants – c’est un écosystème en soi. Mais l’intrusion humaine l’a bouleversé.

Les huîtres sont des filtres incroyables et indispensables au bassin versant. Une seule huître peut filtrer jusqu’à 190 litres d’eau par jour. Sans elles, les engrais et les déchets qui se trouvent dans l’eau déciment le vivant dans des zones entières. Aujourd’hui, la vie a disparu de certaines parties de la baie et les algues prolifèrent, et de nombreux autres problèmes apparaissent.

Et pourtant, les huîtres sont un élément essentiel de votre carte, non?

Oui, et je me rends compte que c’est étrange de continuer de servir des huîtres après avoir dit que nous avions détruit les bancs! Nous utilisons des huîtres produites localement. Elles ne sont donc pas récoltées dans la nature. Pour chaque huître que nous vendons, nous travaillons avec le service de restauration de la baie de Chesapeake: les coquilles sont remises dans les cours d’eau afin de reconstituer des bancs naturels.

Si nous ne mangeons pas d’huîtres, alors il n’y a aucune coquille à remettre à l’eau. Les huîtres ne grandissent pas sur un rocher ou dans le sol. Elles grandissent les unes sur les autres. C’est remarquable en un sens. Il faut des huîtres pour créer un nouveau banc. Il faut une huître pour en produire une autre.

Quel rôle les grands chefs comme vous jouent-ils dans la sensibilisation à l’importance de la conservation et de la durabilité, et comment entendez-vous continuer votre action?

Nous jouons un rôle essentiel dans le système alimentaire. Nous avons voix au chapitre, nous donnons le ton et nous définissons les tendances. (J’espère que le développement durable n’est pas vu comme une simple tendance – ce doit devenir une constante). Nous sensibilisons nos clients et les gens autour de nous et qui nous suivent, et nous expliquons ce qui est indispensable aux systèmes alimentaires.

Votre engagement en faveur de l’environnement détermine-t-il les restaurants dans lesquels vous mangez? Et comment les consommateurs peuvent-ils protéger et respecter la biodiversité?

Si vous étiez dans la nature et que vous voyiez une plante ou un fruit, vous vous y intéresseriez de plus près, non? Vous pouvez faire la même chose avec les restaurants. Voyez s’ils rendent hommage aux producteurs, à leurs pratiques. Voyez s’il y a une éthique derrière leur travail. De nos jours, avec toutes les plateformes qui existent, il est facile pour les restaurants de communiquer sur leur mission. Dix ou vingt ans en arrière, il aurait été très difficile de savoir ce qu'il se passe en cuisine.

Chez vous, prêtez attention aux produits que vous achetez, aux déchets que vous produisez, aux emballages. Allez à des marchés de producteurs ou dans des coopératives, ou chez des revendeurs qui soutiennent les exploitations locales. Trouvez des produits soucieux de la durabilité.

Enfin, réduire sa consommation de viande est l’un des gestes les plus efficaces pour la planète.

Qu’est-ce qui vous a poussé à rejoindre l’équipe des Recettes du changement du FIDA?

Il y a tant de régions du monde, en particulier des communautés rurales, qui sont touchées par les changements climatiques et qui s’adaptent déjà à leurs effets. Je crois que nous tardons à voir cette réalité. J’ai rejoint Les Recettes du changement afin d’entrer en contact avec ces communautés et d’apprendre d’elles, de partager mes quelques connaissances culinaires et d’essayer de bâtir un avenir meilleur dans lequel nous pourrons nourrir la terre entière. En fin de compte, aller au restaurant est un luxe mais manger est un droit. Tout le monde devrait avoir accès à l’alimentation. Et il semblerait que cela soit de plus en plus compliqué. C’est pourquoi le moindre geste en ce sens est essentiel à mes yeux.