Faire entendre les besoins et la parole des ruraux. Entretien avec Hélène Papper

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Faire entendre les besoins et la parole des ruraux. Entretien avec Hélène Papper

Temps de lecture estimé: 8 minutes
©FIDA/G.M.B. Akash

Ce blog a été mis à jour à l'occasion de la Journée mondiale de la radio 2022.

Le constat est plus clair que jamais: pour faire face aux crises mondiales, nous devons impliquer les communautés qui mettent en œuvre des solutions, leurs voix doivent être entendues, leurs savoirs pris en compte. Mais comment relayer cette parole depuis les régions les plus reculées du monde? Comment susciter la collaboration nécessaire à une prise de décision éclairée à différents niveaux, tant de la part du secteur privé que des investisseurs, des décideurs politiques que des dirigeants mondiaux?

Récemment, le FIDA s’est associé à Radios Rurales Internationales pour réaliser une série d’émissions radiophoniques visant à faire participer les populations rurales au débat sur les préoccupations qui les touchent et les solutions qui existent. Ces émissions visent à nourrir les discussions mondiales tenues dans le cadre du Sommet sur les systèmes alimentaires.

Quelque 12 millions de personnes, dont près de 8 millions vivent dans des zones rurales, ont écouté ces programmes. Près de 7 000 femmes, hommes et jeunes travaillant dans le domaine de l’agriculture au Burkina Faso, au Ghana, en Ouganda et en Tanzanie ont participé en appelant l’émission ou en interagissant par téléphone mobile ou sur l’application dédiée, afin de partager leur point de vue sur la manière de bâtir des systèmes alimentaires plus sains, durables et équitables.

Hélène Papper, Directrice de la communication au FIDA, sait le pouvoir que peut avoir la radio. Au cours de sa carrière, elle a travaillé pour des missions de maintien de la paix des Nations Unies au Mali, au Soudan, au Soudan du Sud et en Haïti, où elle a lancé des stations de radio nationales visant à soutenir des processus électoraux et de rétablissement de la paix.

Nous lui avons demandé de nous en dire plus sur l’importance de ces dialogues à l’antenne.

Pourquoi est-il important que la voix des personnes vivant dans des zones rurales reculées, et en particulier celle des femmes et des jeunes, soit entendue?

Près de la moitié de la population mondiale vit dans des zones rurales de pays en développement. Ensemble, ces 3,4 milliards de personnes possèdent les connaissances et l’expérience nécessaires pour créer des systèmes alimentaires durables capables de nourrir le monde.

Les habitants des zones rurales sont les premiers à subir les effets des changements climatiques, mais ils ne disposent pas des services, des infrastructures ou simplement de la résilience économique nécessaires pour résister aux chocs.

Ils sont rarement pris en compte dans l’élaboration des politiques. Pour trouver des solutions efficaces, nous devons mettre à profit leurs connaissances durement acquises et fonder nos décisions et nos actions sur leurs besoins et leurs préoccupations.

Les opinions des femmes et des jeunes sont encore moins entendues. Les femmes constituent la majeure partie de la main-d’œuvre agricole, mais sont absentes du processus d’élaboration des décisions.

L’avenir de nos systèmes alimentaires dépend des jeunes vivant dans les zones rurales, car ils représentent la prochaine génération de producteurs. En les écoutant, nous pouvons comprendre comment leur assurer des moyens d’existence décents et préserver la durabilité des futurs systèmes alimentaires.

Nous devons donner la parole aux populations rurales, les écouter, et agir.

D’après votre propre expérience, comment la radio peut-elle aider les habitants des zones rurales à transformer leur vie?

Les gens sous-estiment parfois l’importance de la radio, qui est l’un de nos outils de communication les plus performants. Elle permet de transmettre instantanément des informations dans les endroits les plus défavorisés de la planète, et de relier les communautés rurales entre elles et avec le reste du monde.

La radio, c’est avant tout la voix d’une personne de confiance. Je l’ai constaté au Soudan du Sud, où des gens appelaient la radio pour signaler des coups de feu, ce qui nous permettait de déceler les signes d’un nouveau conflit et de nous rendre sur place pour éviter des incidents plus graves. Nous n’aurions pas reçu ces signalements si les gens ne faisaient pas confiance à la radio.

Elle permet d’informer les gens, ce qui est essentiel en ces temps de pandémie de COVID-19. Mais la communication passe dans les deux sens. La radio donne la parole à des personnes qui ne seraient pas entendues dans d’autres contextes, à des femmes qui vivent dans des régions où elles n’ont pas le droit de s’exprimer publiquement par exemple. À la radio, leur identité est protégée et elles peuvent parler ouvertement. Lorsque les gens sont entendus, ils ont de l’espoir, ils ont leur mot à dire.

Ce rapport montre que les populations rurales ont des opinions, des besoins et des désirs qui doivent être pris en compte. Les responsables politiques sont parfois cyniques sur la nécessité d’« écouter les gens »; cependant, si cet exercice est réalisé correctement et à grande échelle, il fournit des données contextuelles importantes et permet de trouver des solutions qui répondent aux besoins que les personnes concernées ont elles-mêmes indiqués.

Qu’est-ce qui vous a surpris à la lecture des conclusions du rapport « Dialogues à l’antenne: à l’écoute des populations rurales »?

Certains résultats m’ont paru particulièrement significatifs, mais pas nécessairement surprenants.

Tout d’abord, les personnes interrogées considèrent en grande majorité que leurs enfants ont un avenir dans l’agriculture. Seul 10% d’entre elles estiment que les jeunes devraient choisir une autre profession, mais plus d’un tiers ont également déclaré qu’un certain nombre de changements étaient nécessaires pour permettre à la prochaine génération d’agriculteurs de prospérer. Cela contraste avec l’idée, largement répandue chez les responsables politiques, selon laquelle les gens ne voient pas d’avenir dans les campagnes. Le rapport démontre que les populations rurales veulent continuer à pratiquer l’agriculture, mais que les systèmes alimentaires doivent évoluer pour leur permettre de gagner correctement leur vie.

Ensuite, et alors que les changements climatiques touchent de plus en plus de petits exploitants, peu d’entre eux considèrent la migration comme souhaitable. Ils préfèrent au contraire devenir plus résilients.

De plus, la plupart des personnes interrogées sont préoccupées par les effets des pesticides et des engrais chimiques sur la santé et la sécurité des aliments.

Finalement, les participants ont clairement indiqué qu’ils souhaitaient avoir accès à des prêts et crédits, à des informations sur les meilleures pratiques agricoles et à de meilleurs intrants. Ces demandes spécifiques sont intrinsèquement liées au mandat du FIDA.

Comment le FIDA répond-il aux besoins et aux désirs des populations rurales?

L’action du FIDA repose sur sa capacité à écouter l’opinion des populations rurales sur leurs besoins et leurs aspirations, et sur sa collaboration avec les pouvoirs publics pour répondre à ces demandes.

Grâce au Programme d’adaptation de l’agriculture paysanne, nous canalisons le financement climatique et environnemental vers les petits producteurs et veillons à ce qu’ils soient concrètement impliqués dans l’élaboration des décisions.

Nous présentons des solutions fondées sur la nature, qui permettent de se préparer aux changements climatiques tout en protégeant la biodiversité et la santé humaine. En République démocratique populaire lao, nous avons formé des agriculteurs à l’utilisation de micro-organismes efficaces visant à remplacer les engrais chimiques à moindre coût.

Nous aidons également des jeunes à trouver un emploi valorisant et à tirer parti de leur enthousiasme et de leur volonté d’innover. Au Kenya, des entreprises agricoles dirigées par des jeunes sont porteuses d’idées nouvelles qui revitalisent des secteurs plus anciens: on peut citer, par exemple, la création de mélanges de céréales nutritives pour les marchés locaux, ou l’introduction de distributeurs automatiques de lait qui sont « COVID-19 compatibles ».

Nous travaillons avec les gouvernements et les producteurs pour garantir aux agriculteurs l’accès à des mécanismes de prêts et d’assurance pour faire face à la crise climatique, ainsi qu’aux compétences et aux intrants nécessaires à une agriculture durable.

Ce ne sont là que quelques-uns des moyens utilisés par le FIDA pour répondre aux préoccupations exprimées lors des dialogues à l’antenne. L’essentiel est de rester à l’écoute et de faire confiance aux populations rurales, car elles savent ce dont elles ont besoin.

Quels engagements le FIDA souhaiterait-il voir de la part des dirigeants mondiaux dans la foulée du Sommet sur les systèmes alimentaires?

Après le Sommet sur les systèmes alimentaires, le FIDA appellent les dirigeants mondiaux à transformer nos systèmes alimentaires pour les rendre durables et équitables, en plaçant les petits producteurs au centre de cette transformation.

Des financements et une volonté politique seront indispensables pour permettre aux populations rurales d’accéder aux intrants, aux marchés, aux services financiers, aux technologies et aux informations nécessaires pour créer des entreprises, s’adapter aux changements climatiques, protéger l’environnement et la biodiversité, et accroître leur résilience. Il s’agit de mettre en place des systèmes alimentaires plus justes et plus équitables qui garantissent des moyens d’existence décents.

Parvenir à un accord sur un ensemble de mesures spécifiques et mesurables, dotées d’un financement adéquat, est un sujet au cœur du Sommet, et nous estimons que c’est aussi l’occasion de créer les conditions nécessaires à la prospérité des populations rurales.

Nous voulons que les dirigeants tirent parti du potentiel des banques publiques de développement, mobilisent des financements et participent à l’atténuation des risques liés aux investissements privés dans le secteur agricole.

Nous appelons les dirigeants à aider les populations rurales à s’adapter aux changements climatiques, et à mettre en place des financements verts et inclusifs en faveur des systèmes alimentaires.

Des systèmes alimentaires sains et durables sont essentiels pour garantir un monde sans faim ni pauvreté, pour la biodiversité et pour la planète. Ils sont indispensables à la résilience et à la paix mondiales. 

Les populations rurales nous ont expliqué ce qu’il fallait faire, et nous continuerons à tendre l’oreille. Mais le moment est venu pour les dirigeants mondiaux d’écouter et d’agir.


En savoir plus le rapport  Dialogues à l’antenne: À l’écoute des populations rurales