Mesurer la participation des jeunes à l'agriculture en Tanzanie et au Malawi

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Mesurer la participation des jeunes à l'agriculture en Tanzanie et au Malawi

Temps de lecture estimé: 6 minutes

La crainte que suscite le vieillissement des agriculteurs pose la question du désintérêt des jeunes pour l’agriculture. Toutefois, l’examen approfondi des informations disponibles suscite quelques interrogations préalables, dont la plus essentielle est de bien s'entendre sur ce qu'est un "agriculteur". Si cette question peut sembler simple, différentes approches d’étude peuvent produire des réponses très variées.

Dans la récente étude publiée par le FIDA dans la collection Research, nous avons examiné la dynamique de l’emploi des jeunes dans l’agriculture en Tanzanie et au Malawi.

Mais d’abord, qu’est-ce qu’un agriculteur?

Bien sûr, un agriculteur est d'abord quelqu’un qui travaille dans l’agriculture. Mais qu’en est-il des personnes qui travaillent quelques heures par semaine dans l’exploitation familiale et cinq jours par semaine comme employé salarié? Comment faire la différence entre la personne qui apporte une aide durant le weekend et celle qui fait de l’agriculture sa profession? Tout membre de la famille peut-il être agriculteur ou ce statut est-il réservé au décisionnaire principal de l’activité agricole?

Interroger les gens sur leur emploi principal ne nous éclaire pas forcément. Nombreuses sont les personnes qui exercent plus d’une profession et qui se livrent à différentes activités pour en tirer des revenus. Enfin, d’autres personnes ne voient pas l’agriculture comme un métier, bien qu’elles y consacrent beaucoup de temps. Ainsi, aux États-Unis, seul 48% des "exploitants principaux " – c'est-à-dire les décideurs les plus influents au sein des exploitations agricoles – considèrent l’agriculture comme leur activité principale.

De sorte que, de plus en plus souvent, les chercheurs définissent la profession d’un individu en se basant sur l’ensemble des informations fournies par ce dernier concernant ses activités économiques. Il existe plusieurs options pour catégoriser les professions: i) le montant du revenu réalisé par rapport à celui des autres activités; ii) le temps consacré à chaque activité, iii) la constance dans l’activité au fil du temps. Chaque option est susceptible d’amener des conclusions différentes; par exemple, les taux de participation dans l’agriculture sont généralement plus élevés que le pourcentage de temps de travail total consacré à l’agriculture en raison de la saisonnalité et de la pluriactivité propres aux zones rurales.

Le choix entre l’une et l’autre dépend en définitive de la question à laquelle on tente de répondre. Le Plan d’action du FIDA en faveur des jeunes ruraux met tout particulièrement l'accent sur le nombre plus élevé de possibilités d’emploi qui doivent être offertes aux jeunes dans le secteur agricole, nous avons donc recherché quel est le pourcentage de personnes de 15 à 24 ans pour qui l’agriculture constitue l’unique source de revenus, autrement dit, le pourcentage d’agriculteurs exerçant une seule profession. Et surtout, nous avons tenu compte de l’activité de chacun des membres du foyer et pas uniquement de celle de la personne considérée comme la plus importante au sein du ménage.

Les jeunes tournent-ils le dos à l’agriculture?

Tirées de l"étude Living Standards Measurement Study - Integrated Surveys on Agriculture de la Banque mondiale (Étude sur la mesure des niveaux de vie – Enquêtes intégrées sur l’agriculture, ou LSMS-ISA), les informations recueillies au fil des ans sur un même groupe de personnes nous ont permis d’évaluer la participation de chacun ainsi que sa régularité dans le temps. Étant donné que les jeunes sont un groupe très mobile, ces renseignements nous permettent de pouvoir recenser correctement ceux qui travaillent dans l’agriculture, du moins à court terme. La régularité dans la participation des différents groupes, examinée dans chaque pays au cours d’une période de deux ans, permet de tirer plusieurs conclusions:

  • La majorité des jeunes ruraux de Tanzanie et du Malawi, l'agriculture est leur seule activité. Cependant, la participation est en baisse en Tanzanie, alors qu’elle augmente au Malawi.
  • Plus de la moitié de ceux qui ont commencé à travailler dans l’agriculture y travaillent encore.
  • En général, les jeunes sont plus susceptibles d’opter pour l’agriculture que d’évoluer vers un autre secteur (en parallèle) ou de rester dans leur propre secteur.
  • La participation des jeunes adultes dans l’agriculture est nettement moins importante que celle des jeunes.

Ces résultats sont cohérents avec ceux d’autres études sur les pays d’Afrique subsaharienne ayant utilisé des approches différentes pour déterminer la participation dans l’agriculture.

Possibilités d’investissement

La Tanzanie et le Malawi offrent la possibilité de deux études de cas particulièrement intéressantes à analyser, en raison notamment des différences dans l’histoire de leur développement. On observe des divergences notables entre les deux pays. Par exemple, la proportion de jeunes et de jeunes adultes participant à l’agriculture est plus importante au Malawi qu’en Tanzanie, où le PIB par habitant est nettement plus élevé. On peut y voir le reflet des attentes en matière de transformation rurale et nationale, à mesure que les pays se diversifient, passant de l’agriculture à des services et à une industrie manufacturière plus rentables. Ce qui est important pour  le secteur agricole rural, c'est la création de valeur ajoutée obtenue à travers le système agroalimentaire.

La participation au système agroalimentaire, au sens large, est considérable et augmente aussi bien en Tanzanie qu’au Malawi. La définition traditionnelle du système agroalimentaire englobe à la fois les entreprises agricoles et agroalimentaires. Il comprend toutes les industries connexes nécessaires au dynamisme du secteur agricole – des fournisseurs d’intrants aux vétérinaires, en passant par les services de transport jusqu’à l’utilisateur final (épiciers, restaurateurs, etc.). En l'absence de demande comme de secteurs auxiliaires, l’agriculture n’a aucune chance de prospérer.

La place des jeunes ruraux dans le système agroalimentaire est passée de 60 à 63%, en Tanzanie, et de 73 à 80% au Malawi. Nous pouvons ensuite ventiler ces chiffres entre ceux qui  travaillent dans les agro-entreprises ou bien directement dans l'agriculture. En Tanzanie, la participation des jeunes ruraux dans les entreprises agroalimentaires a doublé, passant de 10 à 20%, tandis qu’elle est restée quasiment stable (15%) au Malawi.

Bien qu’il semble que la participation des jeunes ruraux dans les entreprises agroalimentaires soit plus importante au Malawi, ces chiffres masquent néanmoins une mobilité considérable qui se traduit par un engagement discontinu dans le secteur, notamment dans l’agriculture proprement dite. Cette situation se traduit en fin de compte en deux trajets de développement différents, avec une croissance des agro-entreprises en Tanzanie et une stabilité moindre au Malawi.

Quelles leçons doit-on tirer de ces chiffres?

Globalement, il est encore difficile de savoir si la place qu'occupent les jeunes dans l’agriculture est due à l’attrait du secteur ou à sa qualité de filet de sécurité. Bien que la participation des jeunes y soit importante, notre hypothèse est que l’agriculture est encore largement perçue comme la dernière  solution face au chômage. Malgré toutes les préoccupations que suscite le désintérêt des jeunes pour l’agriculture, les investissements dans le système agroalimentaire offrent une occasion unique de cibler ce groupe et d’appuyer ceux qui choisissent de continuer à travailler dans l’agriculture.