Pour aller encore plus loin contre l'extrême pauvreté, cibler les zones rurales

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Pour aller encore plus loin contre l'extrême pauvreté, cibler les zones rurales

Temps de lecture estimé: 7 minutes
© Brookings

Les progrès remarquables réalisés dans le monde entier en matière de réduction de la pauvreté au cours des dix dernières années ont été largement salués. En 2020, alors que la Chine est en passe de clore son projet quadridécennal – dont l’ambition était d’aider 770 millions de personnes à s’élever au-dessus du seuil de pauvreté –, jamais une telle proportion de la population humaine n’avait connu une telle prospérité.

Cependant, le travail n’est pas terminé, car environ 600 millions de personnes vivent encore dans l’extrême pauvreté, ce qui représente plus que la totalité de la population de l’Union européenne. Dans certains pays, la pauvreté est même en augmentation, tandis que dans d’autres, les niveaux de pauvreté diminuent, mais pas assez rapidement pour atteindre les objectifs fixés par l’ODD1 d’ici à 2030. L’année 2020 ne marquera donc pas la fin de la lutte mondiale contre la pauvreté. En revanche, elle marque le début d’une décennie critique, qui sera déterminante sur le fait de savoir si l’objectif d’élimination de la pauvreté à l’échelle mondiale d’ici à 2030 sera atteint ou non.

Pour véritablement éliminer l’extrême pauvreté (c’est-à-dire la ramener en dessous de 3% de la population dans chaque pays – ce qui correspond dans nos systèmes de mesure au seuil de tolérance), il faut déterminer où vivent les pauvres et comprendre comment mettre en place des cercles vertueux de croissance axée sur le marché dans les villes, les agglomérations et les zones rurales. Nous sommes étonnés de constater qu’il n’existe pas de base de données internationale officielle permettant de distinguer la pauvreté urbaine de la pauvreté rurale. La Banque mondiale ne fournit ce type de ventilation que pour la Chine, l’Inde et l’Indonésie. Cette lacune complique la tâche de ceux qui élaborent les politiques, car la pauvreté est un phénomène intimement lié au facteur géographique, et les leviers – et solutions potentielles – de réduction de la pauvreté sont tributaires du contexte qui entoure et relie les communautés et les marchés. La pauvreté rurale résulte souvent de la difficulté d’accès aux marchés, à l’éducation, à des infrastructures de qualité, à l’emploi, à la santé et aux services financiers. La pauvreté urbaine est souvent caractérisée par des conditions de vie précaires ou dangereuses liées à la situation de l’assainissement, de l’emploi et de la sécurité des personnes. Or, il est fondamental de comprendre la différence entre les deux pour élaborer une stratégie nationale d’atténuation de la pauvreté.

Pour relever ce défi, le World Data Lab, avec l’appui du Fonds international de développement agricole (FIDA), a élaboré de nouvelles données sur la pauvreté rurale et urbaine pour tous les pays du monde. Ces données étant désormais en libre accès sur le site World Poverty Clock (voir la section « methodology » du site pour plus d’informations), les décideurs politiques disposent d’un point de départ pour quantifier, prévoir et analyser la dynamique de la pauvreté rurale et urbaine. Les principales conclusions de cette nouvelle base de données sont présentées ci-dessous.

Les plus pauvres vivent en majorité dans les zones rurales. Environ deux personnes extrêmement pauvres sur trois vivent en milieu rural. Au total, quelque 400 millions d’hommes et de femmes des zones rurales vivent dans l’extrême pauvreté, soit davantage que les populations des États-Unis et du Canada réunies. En parallèle, environ 200 millions de personnes en situation d’extrême pauvreté vivent en milieu urbain, soit deux fois moins environ que dans les zones rurales.

La pauvreté rurale est en passe de diminuer, tandis que la pauvreté urbaine devrait persister. Selon les projections du World Poverty Clock, la pauvreté rurale devrait passer de 395 millions à 293 millions de personnes dans la prochaine décennie, soit une baisse de 26%, notamment du fait de la croissance économique et de l’exode rural, qui réduit la taille absolue de la population rurale dans de nombreux pays. En revanche, la pauvreté urbaine ne devrait pas diminuer de manière significative (de 203 millions à 200 millions de personnes en 10 ans), compte tenu de l’urbanisation croissante probable dans les dix prochaines années, en particulier en Afrique.

Figure 1. La pauvreté rurale devrait diminuer plus rapidement que la pauvreté urbaine

Source: World Poverty Clock, World Data Lab

La pauvreté rurale est principalement un phénomène africain. Sept des dix pays comptant le plus grand nombre de personnes pauvres vivant en milieu rural se situent en Afrique subsaharienne. Ensemble, ces pays concentrent les trois quarts (76%) de la pauvreté rurale mondiale, soit environ 305 millions de personnes. Ce nombre devrait certes diminuer dans la prochaine décennie et passer à 245 millions d’individus, mais la part de l’Afrique dans la pauvreté rurale mondiale devrait augmenter, et atteindre 85% à l’horizon 2030. Plusieurs pays contribuent principalement à cette dynamique. Si les tendances actuelles se confirment et qu’aucune mesure forte n’est prise, le Nigéria et la République démocratique du Congo pourraient n’enregistrer aucune progression en matière de réduction de la pauvreté rurale dans les dix prochaines années. Par exemple, en l’absence de mesure d’envergure, les projections indiquent que la pauvreté rurale au Nigéria pourrait augmenter de près de quatre millions de personnes (soit 7%) lors des dix prochaines années. Comme nous l’avons déjà signalé par ailleurs, le Nigéria est le pays où le nombre de pauvres est le plus élevé au monde; il convient de préciser qu’il est même l’un des rares pays où le nombre de pauvres continue d’augmenter. De fait, le Nigéria est en tête du classement à la fois pour le nombre de pauvres vivant en zone rurale et en zone urbaine.

Dans le domaine de la réduction de la pauvreté rurale, nous allons assister à des cas de réussite exemplaires dans les dix années à venir. S’ils maintiennent leur rythme en matière de réduction de la pauvreté, plusieurs pays devraient accomplir des progrès significatifs avant 2030, l’échéance fixée pour atteindre les objectifs de développement durable. En Éthiopie, près de 16 millions de ruraux devraient échapper à la pauvreté d’ici à 2030, tandis qu’en Inde, la pauvreté rurale devrait toucher près de 20 millions de personnes en moins. Les projections indiquent également qu’en Tanzanie et en Ouganda, près de neuf millions de ruraux sortiront de la pauvreté, ces pays réduisant ainsi de moitié environ leur niveau total actuel de pauvres. Cela dit, huit pays d’Afrique subsaharienne devraient toujours figurer parmi les dix pays les plus touchés par la pauvreté rurale en 2030.

Figure 2. Classement des dix plus importantes réductions attendues en matière de pauvreté rurale (2020-2030)

Source: World Poverty Clock, World Data Lab

Des obstacles méthodologiques empêchent d’affiner les chiffres sur la pauvreté rurale et urbaine, et certains ordres de grandeur doivent être calculés sur la base d’hypothèses. Mais sans ces données, les gouvernements nationaux et les organisations internationales telles que le FIDA avanceraient les yeux bandés. Nous pensons qu’il leur est désormais possible d’affiner leurs stratégies de réduction de la pauvreté et leurs investissements en tenant compte des différences entre zones rurales et urbaines, et qu’ils peuvent commencer à établir des données de référence qui leur serviront à évaluer les progrès accomplis. Nous estimons que si les instruments des politiques de réduction de la pauvreté peuvent différer entre zones rurales et urbaines, il existe des points communs entre ces deux problématiques. Le renforcement de l’intégration et de la desserte entre marchés ruraux et urbains peut réduire les flux migratoires vers les villes et accroître les niveaux de revenus dans les zones rurales. Il peut aussi améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle, et renforcer la résilience face aux chocs climatiques. Il faut développer des chaînes d’approvisionnement de produits de base ainsi que des systèmes alimentaires intégrés, tout en adoptant une vision plus large de l’aménagement du territoire et en ciblant les interventions publiques sur les zones les plus délaissées. Voilà qui serait de nature à réduire la pauvreté rurale et urbaine.

Note: Pour toute question portant sur la méthode suivie et les modèles de données sous-jacents, veuillez écrire à [email protected].

Ce billet de blog a été publié initialement sur le site brookings.edu.