Pourquoi les droits fonciers sont-ils importants pour les femmes rurales? Conversation avec Steven Jonckheere

IFAD Asset Request Portlet

Agrégateur de contenus

Pourquoi les droits fonciers sont-ils importants pour les femmes rurales? Conversation avec Steven Jonckheere

Temps de lecture estimé: 6 minutes
©FIDA/Francesco Cabras

Les femmes représentent près de la moitié de la population active au sein du secteur agricole dans le monde, et possèdent pourtant moins de 15% des terres agricoles, ce qui a de lourdes conséquences sur la stabilité de leurs revenus, leur sécurité alimentaire, leurs autres droits au sein de leurs communautés, et même leur capacité à s’adapter aux changements climatiques.

En cette Journée internationale des femmes, nous avons interrogé Steven Jonckheere, Spécialiste technique principal, genre et inclusion sociale au FIDA, sur l’importance des droits fonciers des femmes et sur les actions que mène le FIDA à ce sujet.

Pourquoi les droits fonciers des femmes sont-ils si importants?
Les femmes qui accèdent à la propriété foncière ou qui ont la maîtrise des terres qu’elles cultivent ont de meilleures chances d’améliorer leurs moyens d’existence. Je ne parle pas que du droit d’accéder à la terre. Je parle ici de la capacité des femmes à acheter ou vendre des terres, à choisir comment les exploiter et comment s’en occuper, et à obtenir des fonds pour développer des entreprises, au même titre que les hommes.

Lorsque les femmes jouissent d’une autonomie économique, leur statut au sein de leur communauté et de leur ménage s’améliore. L’amélioration de la sécurité foncière des femmes constitue une avancée majeure vers la véritable égalité femmes-hommes, et est essentielle pour l’adaptation aux changements climatiques.

Pouvez-vous développer? En quoi les changements climatiques entrent-ils en ligne de compte?
Avec l’arrivée définitive des changements climatiques, les femmes rurales risquent de subir de plein fouet les effets des catastrophes naturelles, des déplacements de population, de l’imprévisibilité des précipitations, de la baisse de la production alimentaire et de la hausse de la faim et de la pauvreté. Avec des droits limités en matière d’accès à la terre et à la propriété foncière, bon nombre de ces femmes n’ont pas les ressources dont elles ont besoin pour reconstruire et se préparer aux changements inévitables à venir.

Si les femmes rurales étaient propriétaires de leurs terres, elles seraient évidemment prêtes à investir dans ces terres pour préparer l’avenir, à préserver la biodiversité et les ressources naturelles, et à introduire des pratiques agricoles résilientes face au climat.

L’autonomisation des femmes est fondamentale pour assurer non seulement leur résilience mais aussi celle de leurs familles, et passe entre autres par le renforcement de leurs droits fonciers.

Comment pouvons-nous concrètement renforcer les droits fonciers des femmes?
Au FIDA, nous militons en faveur de réformes politiques qui améliorent l’accès des femmes à la terre. Nous favorisons la participation des femmes à la gestion des ressources, de façon à garantir la prise en compte de leur point de vue.

Vous ne serez pas surpris d’apprendre que, si le droit des femmes de posséder, d’exploiter des terres et de prendre des décisions à leur propos au même titre que les hommes est reconnu dans 164 pays, la réalité est tout autre. Seuls 52 pays garantissent réellement ce droit en pratique, en raison de lois coutumières discriminatoires en vigueur dans les autres.

Les réformes juridiques et politiques peuvent fonctionner, mais seulement si elles sont mises en œuvre. Le travail du FIDA consiste en grande partie à s’assurer que les pouvoirs publics ont les informations nécessaires et jouent un rôle de soutien, et que les hommes et les femmes connaissent les lois et ont les capacités pour les appliquer. Au Burundi, par exemple, nous avons financé une initiative prévoyant la mise en place de cliniques juridiques destinées à informer les femmes sur les lois et les normes coutumières en vigueur en matière foncière et à leur fournir l’aide juridique dont elles ont besoin.

Nous trouvons également des solutions pour consigner par écrit les droits fonciers des femmes. L’un de nos projets au Bangladesh aide les familles à obtenir des titres fonciers, en veillant à ce qu’ils soient au nom des deux époux. Nous nous assurons également que le nom de l’épouse figure en premier sur le titre foncier, de façon à ce que la terre reste en son nom si son mari venait à décéder.

Il faut un changement culturel durable pour que les sociétés acceptent et défendent les droits fonciers des femmes, qui passe par la communication, la sensibilisation aux notions d’égalité femmes-hommes et une prise de conscience des ménages, des communautés et des pouvoirs publics.

Le FIDA œuvre en faveur des droits fonciers des femmes depuis plus de 40 ans. Que savons-nous sur ce qui fonctionne?
Nous savons que les réformes juridiques et la modification des pratiques coutumières doivent s’accompagner de mécanismes d’exécution. Nous avons également appris qu’il ne suffit pas de s’appuyer sur les principes généraux de non-discrimination: pour changer réellement les choses, nous devons soutenir les droits de propriété foncière des femmes de façon proactive, comme nous le faisons au Bangladesh.

Les droits fonciers ne sont qu’un des éléments formant l’ensemble de mesures qui garantit l’autonomisation économique et sociale des femmes. Outre la sécurité foncière, nous avons besoin de politiques, de services et d’investissements favorables aux populations pauvres qui réduisent la vulnérabilité des femmes et leur permet d’utiliser au mieux leur accès à la terre. Nous devons également nous assurer que les femmes sont représentées de façon paritaire au sein des gouvernements et des organes décisionnels, et peuvent s’exprimer au sein de leur ménage et de leur communauté.

Nous devons par ailleurs convaincre l’ensemble des communautés, y compris les hommes et les anciens, pour que les changements que nous défendons s’inscrivent dans la durée. C’est pourquoi l’éducation et la bonne communication sont si importantes.

Quelle est la prochaine étape pour le FIDA dans le domaine des droits fonciers des femmes?
Nous travaillons en collaboration avec le Consortium des centres internationaux de recherche agricole (CGIAR) pour tester de nouvelles approches, élaborer de nouvelles boîtes à outils fondées sur nos expériences, et appliquer les connaissances fraîchement acquises à nos projets. Nous avons élaboré des formations en ligne en partenariat avec la FAO pour sécuriser les droits fonciers. Nous utilisons des méthodes axées sur les ménages pour aider les familles à discuter de la manière dont chaque membre trace leur avenir commun, en particulier dans le contexte des changements climatiques. Nous nous sommes aperçus que nous parvenions réellement, grâce à ces méthodes, à faire évoluer les rapports femmes-hommes au sein des ménages et des communautés.

Au bout du compte, les femmes rurales doivent pouvoir participer pleinement aux sociétés dans lesquelles elles vivent. Et ce point est plus important que jamais: les changements climatiques sont réels et vont toucher particulièrement durement les populations rurales des pays en développement. Garantir un accès sécurisé des femmes aux droits fonciers est un premier pas non seulement pour permettre aux sociétés rurales de s’adapter, mais aussi de prospérer.