Recettes du changement: entretien avec le chef cuisinier Shane Chartrand

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Recettes du changement: entretien avec le chef cuisinier Shane Chartrand

Temps de lecture estimé: 5 minutes

Cela fait plus de 10 ans que le chef cuisinier Shane Chartrand suit un cheminement personnel et culinaire, et cherche à comprendre ce que signifie ses origines algonquiennes cries et son éducation métisse et de quelle façon intégrer cette part de lui-même dans son travail de chef à Edmonton, dans l’Alberta (Canada), territoire couvert par le Traité no 6.

(Le Traité no 6 est l’un des accords séculaires entre la Couronne britannique et les Premières Nations. Il sert à partager les terres et les ressources dans une grande partie du territoire qui constitue de nos jours le Canada. Le territoire couvert par le Traité englobe une vaste superficie des terres qui se situent aujourd’hui dans les provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan.)

Nous nous sommes entretenus avec Shane pour l’interroger sur ses origines autochtones et son parcours culinaire, ainsi que sur les espoirs qu’il a pour la campagne « Les Recettes du changement ».

Vous avez publié un livre intitulé Tawâw: Progressive Indigenous Cuisine. Vous y retracez votre parcours culinaire depuis votre enfance, au cours de laquelle vous avez appris, comme vous le dites, à élever du bétail, à chasser et à pêcher sur les terres de votre famille. Comment est-ce que votre enfance a influencé et continue d’influencer encore aujourd’hui votre travail de chef cuisinier?

Mon enfance n’a que tardivement influencé ma carrière de chef. Quand j’étais enfant, je n’aimais pas vivre à la ferme. Je voulais être avec mes amis en ville.

Je devais avoir environ 25 ans lorsque j’ai commencé à exploiter mes racines rurales. Ayant été élevé dans la tradition autochtone, j’ai mis longtemps à me rendre compte que de nombreuses personnes ne cultivent pas la terre, ni ne chassent ou ne jardinent. J’étais mort de honte. Je travaillais pour une grande chaîne de restauration à l’époque. On y utilisait toutes sortes de légumes et je me disais: « C’est chouette ça, où trouvent-ils tous ces légumes? » Évidemment, ces ingrédients ne venaient pas du Canada. Et plus je travaillais avec différents ingrédients, plus je m’apercevais qu’ils ne venaient pas non plus du Canada. J’étais perdu. C’est à ce moment-là que j’ai repensé à mon passé à la ferme.

Que signifie pour vous la « cuisine autochtone progressive »?

Pour moi, la cuisine autochtone progressive est en constante évolution. Il n’y a pas qu’un seul style de cuisine autochtone: elle vient de partout. Les gens ont tendance à croire que la nourriture autochtone est celle qu’ils ont l’habitude de voir, comme les tacos indiens. Mais notre monde est bien plus varié que ça.

Mon livre, par exemple, n’est pas un recueil de recettes traditionnelles transmises par des anciens. Ce sont toutes mes propres recettes. (Bien évidemment, quelqu’un m’a aidé à les tester et m’a rappelé à l’ordre lorsque je m’égarais.) On trouve dans mon livre des ingrédients et des recettes qui représentent tout ce que notre monde a à nous offrir: baies de savonnier, baies de l’amélanchier à feuilles, canneberge – j’adore les baies –, gibier sauvage et bien d’autres encore. Soupe de cou de dinde. Toutes sortes de choses chouettes.

Mais on trouve aussi des recettes non autochtones: ce livre représente ma vie et ma famille, l’enfant que j’étais et qui faisait ses propres recettes. C’est la cuisine autochtone que je connais, celle que m’ont apprise ma mère et mon père.

Comme vous le savez, le FIDA se consacre à aider les exploitants agricoles. Quelle importance a pour vous le lien entre le lieu de production et la cuisine?

Si quelqu’un me disait: « Imagine que tu ne peux plus être chef. Qu’est-ce que tu ferais? Que choisirais-tu? », je répondrais probablement agriculteur. Je pense que ces femmes et ces hommes travaillent très dur. Et c’est trop facile de leur prendre la nourriture des mains et de repartir à votre restaurant sans même un merci.

Je pense qu’il faut surtout veiller à acheter et à choisir nos aliments de façon éthique. Selon ce que vous achetez, il n’est pas forcément souhaitable d’acheter des choses bon marché. Par exemple, dans la restauration, nous savons quand ça ne vaut pas le coup de mettre le prix fort (pour des choses comme les serviettes, etc.). Mais quand il s’agit de nourriture, je veux être absolument certain que ma chambre froide est propre, en ordre, qu’elle sent bon et que, quand vous y jetez un œil, vous avez envie d’y plonger et de tout découvrir.

Pourquoi avez-vous décidé de rejoindre la communauté des chefs « Les Recettes du changement » ici au FIDA?

Ça a l’air d’être une occasion prometteuse et une chance de rencontrer des gens d’horizons différents. Même si on ne peut pas voyager en ce moment, je rencontrerai au moins des personnes (en ligne!) qui sont uniques et différentes, et je pourrai leur parler cuisine.

Et soyons honnêtes, tout le monde aime parler de nourriture. C’est un sujet qui plaît à tous. Je crois simplement que mettre l’alimentation au service du changement est une démarche qui a du sens. Et c’est vraiment, vraiment passionnant.

Qu’aimeriez-vous faire en tant que chef des « Recettes du changement »?

J’espère pouvoir partager mes racines autochtones, ma culture autochtone, ma culture non autochtone et tout ce que j’ai fait dans ma vie. Et je suis content de pouvoir entendre les [histoires] d’autres personnes également.