Trois spécialistes du FIDA réagissent aux statistiques choc du tout dernier rapport sur la sécurité alimentaire et la nutrition

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Trois spécialistes du FIDA réagissent aux statistiques choc du tout dernier rapport sur la sécurité alimentaire et la nutrition

Temps de lecture estimé: 7 minutes
©FIDA/David Paqui

Le tout dernier rapport sur l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde montre que, plutôt que d’avancer vers la réalisation de l’objectif Faim Zéro à l’horizon 2030, le monde compte aujourd’hui un nombre croissant de personnes qui ont faim.

Publié conjointement par la FAO, le FIDA, l’UNICEF, le PAM et l’OMS, ce rapport dresse un tableau plutôt sombre de la situation. En 2021, pas moins de 828 millions de personnes (soit une hausse de près de 46 millions depuis 2020 et de 150 millions depuis la pandémie de COVID-19) souffraient de la faim.

En 2020, près de 3,1 milliards de personnes ne pouvaient pas se permettre d’adopter une alimentation saine. Alors que les répercussions économiques de la pandémie de COVID-19 et de la guerre en Ukraine font grimper l’inflation et réduisent le pouvoir d’achat des consommateurs, les États doivent, plus que jamais, soutenir l’agriculture pour réduire le coût de l’alimentation saine.

Trois spécialistes du FIDA réagissent aux conclusions du rapport.

« Le monde est loin d’être sur la bonne voie pour atteindre l’ODD 2 » – Joyce Njoro, Spécialiste technique principale, Nutrition

« L’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde » met en lumière la triste réalité d’aujourd’hui. Le nombre de personnes qui souffrent de la faim est plus élevé qu’auparavant. Le nombre de personnes qui souffrent d’insécurité alimentaire est plus élevé qu’auparavant. Des milliards de personnes ne peuvent se permettre d’adopter une alimentation saine. Si des progrès ont été enregistrés concernant le retard de croissance et l’allaitement exclusif, l’anémie gagne du terrain chez les femmes en âge de procréer. En bref, le monde est loin d’être sur la bonne voie pour atteindre l’ODD 2 consacré à la « faim zéro » et à l’éradication de toutes les formes de malnutrition.

En même temps, les inégalités se creusent, et les pays en développement, les pays en situation de fragilité, les zones rurales et les femmes sont disproportionnellement touchés par l’insécurité alimentaire et nutritionnelle. Si la pandémie de COVID-19 est un facteur important, les changements climatiques aggravent encore la situation. En l’absence de mesures drastiques, la guerre en Ukraine et les effets qu’elle produit partout dans le monde empireront inévitablement les perspectives de l’année 2022.

Si la proposition du rapport visant à réorienter les politiques agricoles est intéressante, les possibilités qui s’offrent aux pays à faible revenu à cet égard sont moindres sans certains compromis. Ces pays sont aussi les plus touchés par la faim et la malnutrition, mais également par les effets des changements climatiques et des conflits. Puisqu’il n’existe pas de solution universelle, il convient de réfléchir à un ensemble de solutions en matière de réorientation des politiques dans les pays à revenu faible et intermédiaire.  

Alors que la date limite de réalisation des cibles des ODD s’approche à grands pas, et alors que l’essentiel du travail reste à faire, nous devons impérativement redoubler d’efforts en matière de collaboration avec les États. Un effort concerté s’impose pour protéger les gains acquis jusqu’à présent et renforcer la résilience des personnes les plus pauvres et les plus vulnérables du monde.   

 

« Le potentiel des aliments d’origine animale n’est pas exploité »Antonio Rota, Spécialiste technique principal (monde), Élevage

Les chiffres présentés dans le rapport sur l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde sont accablants et dressent un tableau sinistre: près de 670 millions de personnes souffriront de la faim en 2030, soit le même nombre qu’en 2015, année de lancement du Programme de développement durable à l’horizon 2030. Le nombre d’enfants souffrant d’émaciation ou de retard de croissance s’élève presque à 200 millions, et une femme âgée de 15 à 49 ans sur trois environ souffre d’anémie, un chiffre qui n’a que peu évolué en dix ans. Ces statistiques invitent à une profonde réflexion sur les stratégies, actions et investissements à mettre en œuvre en priorité pour permettre aux personnes les plus pauvres de sortir de la pauvreté.

Ces chiffres alarmants sont particulièrement frustrants pour moi en tant que spécialiste de l’élevage, compte tenu du potentiel que recèlent les aliments d’origine animale. Ces aliments, en particulier les œufs et le lait, sont sains, riches en protéines de qualité et faciles à digérer, en plus d’être une source de fer, de zinc, de calcium, de vitamine A et de vitamine B12. Nous savons qu’ils produisent un effet positif direct sur l’état nutritionnel, la croissance linéaire et le niveau d’instruction des enfants, ce qui aboutit à une hausse des revenus et de la productivité une fois atteint l’âge adulte. Ces nutriments sont aussi essentiels pour réduire l’anémie chez les femmes, notamment les femmes enceintes. Et pourtant, leur potentiel n’est pas exploité.

L’élevage revêt une importance capitale pour les moyens d’existence de près d’un milliard de personnes figurant parmi les plus pauvres du monde. Le rapport souligne la nécessité de réorganiser l’aide apportée au secteur de l’alimentation et de l’agriculture. La part de l’agriculture dans l’aide publique au développement totale a baissé ces dernières années (elle était estimée à 4,3% en 2020) et seule une petite part est attribuée au secteur de l’élevage.

Compte tenu de ce que nous savons sur l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition, mais aussi sur le potentiel des aliments d’origine animale, nous devons impérativement multiplier les investissements en faveur de l’intensification durable de la production animale pour réduire drastiquement la faim et la pauvreté.

 

« La pêche et l’aquaculture sont le chaînon manquant »Richard Abila, Spécialiste technique supérieur, Pêche et aquaculture

Le rapport sur l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde présente la dure réalité qu’en dépit de tous les efforts déployés ces dix dernières années, l’éradication de la faim est encore une perspective lointaine. Au contraire, le rapport montre que la sous-alimentation est en hausse et que la malnutrition persiste sous différentes formes dans toutes les régions du monde. Non seulement nos stratégies visant à mettre un terme à la faim et à la malnutrition sont en train d’échouer, mais nos systèmes alimentaires augmentent par ailleurs les émissions de gaz à effet de serre.

Le rapport omet toutefois de mentionner une source alimentaire vitale qui offre de nombreux avantages et pourrait contribuer à la réalisation de l’ODD 2: les aliments aquatiques.

Ces aliments sont une importante source de protéines et contiennent bon nombre des vitamines et minéraux nécessaires pour lutter contre certaines des carences nutritionnelles les plus graves et les plus répandues: du fer, du zinc, du calcium, de l’iode, de la vitamine A, de la vitamine B12, de la vitamine D et des acides gras oméga-3. Même l’introduction d’une petite quantité de poisson dans l’alimentation peut réellement transformer l’état nutritionnel des personnes qui la consomment.

Les aliments aquatiques sont non seulement nutritifs, mais ils peuvent aussi créer des possibilités de revenus pour les femmes. La pêche et l’aquaculture artisanales, des secteurs avec lesquels travaille le FIDA, produisent des protéines qui présentent une empreinte carbone beaucoup moins élevée que celle de la plupart des produits issus d’animaux terrestres. Ainsi, les interventions bien planifiées dans les domaines de la pêche et de l’aquaculture pourraient occuper une place centrale au sein des systèmes alimentaires durables et fournir à une population en pleine croissance les aliments d’origine animale dont elle a besoin.

Le poisson représente environ 17% des protéines animales consommées à l’échelle mondiale, et fournit à environ 3,3 milliards de personnes près de 20% de leur consommation moyenne de protéines animales. Pourtant, le dernier rapport sur l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde ne mentionne ni la pêche, ni les aliments aquatiques, ni le rôle qu’ils peuvent jouer dans l’éradication de la faim.