Un bon repas et une bonne histoire. Entretien avec le chef cuisinier Thomas Zacharias

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Un bon repas et une bonne histoire. Entretien avec le chef cuisinier Thomas Zacharias

Temps de lecture estimé: 5 minutes

Thomas Zacharias est chef cuisinier depuis près de 15 ans. Sa carrière a démarré dans la cuisine de sa grand-mère, dans son Inde natale, et s’est poursuivie dans les meilleurs restaurants de la planète avant de le ramener dans son pays d’origine. Aujourd’hui, le mouvement qu’il a fondé, Indian Food Movement, met en valeur les cuisines régionales et les ingrédients indigènes, locaux et saisonniers.

Nous nous sommes entretenus avec le chef cuisinier Zacharias pour tenter de comprendre ce qui le motive à développer les liens entre agriculteurs, chefs cuisiniers et consommateurs.

Nous avons à cœur de modeler des systèmes alimentaires qui soient favorables à l’environnement. Selon vous, quel rôle les chefs cuisiniers peuvent-ils jouer dans ce domaine?

J’ai grandi dans le sud de l’Inde, dans une petite ville appelée Kochi, dans les années 1990. Je ne savais même pas que le métier de chef cuisinier existait. Ils s’activaient principalement derrière des portes closes; on ne les voyait pas vraiment en dehors de leur cuisine. Mais ce sont aujourd’hui des acteurs du changement à part entière.

Je pense que l’état de nos systèmes alimentaires n’est un sujet d’inquiétude que d’une petite portion de la population. Nous devons donc, pour régler le problème, d’abord susciter une prise de conscience, c’est elle qui conduira à l’action. Les chefs cuisiniers peuvent, grâce à leur cuisine mais aussi aux médias, influencer les tendances alimentaires et aider à créer un élan, en faveur par exemple de la consommation de produits locaux et saisonniers, du soutien aux petites communautés marginalisées, et, indirectement, à l’amélioration de la sécurité alimentaire de nos agriculteurs et producteurs alimentaires.

Pourquoi consacrez-vous aujourd’hui autant de temps à l’éducation dans le cadre de votre travail?

Je ne crois pas que mon travail soit éducatif. Il s’agit plutôt de raconter une bonne histoire.

Pour moi, les conversations sur une production alimentaire durable ne peuvent être éducatives qu’avec un public jeune. D’ailleurs, je pense qu’il est important d’intégrer davantage ce sujet aux programmes scolaires, en Inde et partout ailleurs dans le monde. À l’âge adulte, on n’est plus aussi réceptifs à l’idée d’apprendre, d’absorber des informations ou de changer de comportement. Je pense qu’il est plus efficace de raconter des histoires qui nous touchent. Il est vraiment possible de faire évoluer les mentalités et de pousser les gens à l’action lorsqu’on parvient à les faire adhérer aux récits autour de la nourriture. Il faut toucher les gens de manière émotionnelle.

C’est ce que je fais avec ma cuisine, mais aussi au travers d’autres formes de communication, que ce soit sur les réseaux sociaux ou par mes écrits. J’ai vu de mes propres yeux des personnes changer de point de vue, faire preuve d’une plus grande ouverture d’esprit et modifier leur comportement, même si ce n’est qu’à petite échelle.

Pouvez-vous nous parler de votre nouvelle plateforme alimentaire?

Je dirigeais auparavant un restaurant à Mumbai, appelé The Bombay Canteen, qui rendait hommage, avec une touche moderne et intéressante, à la cuisine traditionnelle des différentes régions de l’Inde. Je sillonne aussi les routes du pays depuis huit ans pour étudier les habitudes alimentaires des populations locales. Le but était de trouver l’inspiration dans les ingrédients locaux et les cuisines régionales pour adapter le menu de mon restaurant. Mais ces voyages m’ont également ouvert les yeux sur les différents problèmes touchant nos systèmes alimentaires: une production alimentaire non durable, des agriculteurs souffrant d’insécurité alimentaire, le gaspillage, la perte de notre héritage culinaire, entre autres.

Il y a un an environ, j’ai décidé de quitter mon emploi parce que je voulais intervenir plus en profondeur sur nos systèmes alimentaires. J’ai réalisé que je pouvais profiter de la crédibilité et de l’influence que j’avais acquises au fil des ans en tant que chef cuisinier à qui ces questions tiennent vraiment à cœur. Aujourd’hui, il existe un écart gigantesque entre les personnes, les lieux et les écosystèmes qui nous fournissent nos aliments et les consommateurs urbains qui alimentent la demande. C’est le cas en Inde, et c’est probablement le cas dans de nombreuses autres régions du monde.

C’est la raison pour laquelle j’ai fondé cette plateforme alimentaire appelée the Locavore. L’idée sous-jacente est de réduire l’écart entre les personnes qui produisent nos aliments et le consommateur final, en les incitant à communiquer, à discuter, à raconter des histoires, à créer un sentiment de communauté et à imaginer des façons d’interagir plus amusantes et accessibles. Ce qui se traduit ensuite par des changements durables.

Pourquoi avez-vous rejoint l’équipe des Recettes du changement?

Je milite activement depuis plusieurs années en faveur des mêmes causes que le FIDA par mon travail, mais aussi principalement à titre individuel. Je crois fermement au pouvoir de la collaboration et à la synergie d’un mouvement collectif qui prend conscience de ce qui se passe dans nos régions agricoles et dans la vie des personnes qui produisent les aliments que nous consommons. Pour moi, c’est cette prise de conscience qui peut réellement susciter les changements positifs dont nous avons tellement besoin aujourd’hui. Et quoi de mieux pour cela que l’alimentation et les bons petits plats ? – quelque chose d’universel, et aussi de si personnel.

Retrouvez l’enregistrement intégral de cet entretien (en anglais)

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