Unis par la racine. Une conversation avec Jeong Kwan, cheffe cuisinière

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Unis par la racine. Une conversation avec Jeong Kwan, cheffe cuisinière

Temps de lecture estimé: 5 minutes

Jeong Kwan est une nonne bouddhiste zen et une cheffe cuisinière célèbre. 

Elle a grandi à Yeongju, en Corée du Sud, dans la ferme de ses parents. À l’âge de 17 ans, après la mort de sa mère, elle a décidé de devenir nonne, faisant le vœu de ne jamais transmettre la peine qu’elle avait connue à un autre enfant.

Elle a conservé au fil des ans le lien fort qui l’unit à l’agriculture et à la nature, et elle est aujourd’hui une cheffe cuisinière-philosophe, réputée en Corée du Sud à la fois pour ses recettes véganes durables et pour son approche pure et sincère à l’égard de la cuisine.

Je l’ai rencontrée à Baekyangsa, un temple niché dans la forêt d’un parc national. Notre conversation est allée à bâtons rompus, de la cuisine traditionnelle dans les temples coréens aux liens qui unissent l’agriculture et la cuisine, en passant par ce que nous devons faire pour rééquilibrer nos systèmes alimentaires.


Q: Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur la cuisine des temples bouddhistes?
La cuisine des temples bouddhistes crée un lien entre l’énergie mentale et l’énergie physique des religieux pendant leur entraînement. Nous dépendons des ingrédients que nous donne la nature au fil des saisons, puis nous fermentons les restes pour les manger au cours de la saison suivante. Cette technique durable nous permet de profiter pleinement d’une plante au gré des quatre saisons.

Q: J’ai entendu dire que vous cultiviez vos propres ingrédients. Selon vous, qui êtes à la fois cheffe cuisinière et agricultrice, quelle est la chose la plus importante à prendre en compte lorsque l’on cuisine?
Cultiver la terre, c’est connaître ses ingrédients. Grâce à l’agriculture, nous pouvons comprendre comment le climat change, comment l’univers évolue, comment fonctionne notre vie, mais aussi appréhender les liens étroits qui unissent notre vie à la nature. Cultiver, c’est évoluer parmi les choses qui nous façonnent; cuisiner les ingrédients qui proviennent de la terre revient donc à partager le processus de croissance naturelle. Dans la nature, cultiver rime toujours avec cuisiner. 

Les agriculteurs se concentrent généralement sur le cycle agricole. Ils partagent leur énergie avec leurs cultures et s’en préoccupent constamment: ils craignent qu’elles ne soient piétinées, qu’elles ne mûrissent trop vite, qu’elles ne soient arrachées par le vent, etc. Dans le cadre de l’agriculture mécanisée à grande échelle, ce partage disparaît, et il est nécessaire d’en prendre conscience. C’est pourquoi je recommande de cultiver des aliments, comme des poivrons ou des aubergines par exemple, et non des fleurs, dans son jardin. Ce n’est qu’en prenant conscience des tenants et aboutissants de l’agriculture que l’on se rend compte du dur labeur des agriculteurs, de l’importance du climat et de la nature, et de l’importance de cette attitude vis-à-vis de la nourriture. J’aimerais que les personnes cultivent et cuisinent leurs aliments de façon à partager et faire connaître cette philosophie.

Q: Avec l’évolution du climat, avez-vous remarqué des changements dans l’environnement qui affectent les ingrédients que vous cultivez et cuisinez?
La pluie, la neige, le soleil devraient survenir à des moments bien précis de l’année, mais le climat semble aujourd’hui fâché. Et nous en sommes la cause. Nous devons en prendre conscience. Quand je tombe malade, le monde entier tombe malade. Quand le climat et la nature tombent malades, je tombe malade. Nous sommes nous aussi des animaux dont la survie dépend entièrement de la nature. 

Je suis allée récemment dans ma ferme pour récolter des choux, que je souhaitais transformer en kimchi. J’ai perdu toute ma récolte. Les insectes avaient dévoré tous mes choux. Je n’avais jamais vu ça dans des proportions pareilles. Et je ne suis pas la seule. Le problème est mondial, et a conduit à une hausse importante du prix du chou cette année. Tout changement dans la nature, aussi infime soit-il, a une influence considérable sur les êtres humains.

Un plat de la cheffe cuisinière Jeong Kwan

Q: Compte tenu de ces changements, que devrions-nous faire concrètement pour les générations futures et pour garantir la durabilité des systèmes alimentaires?
Ne mangez pas d’aliments injustement transformés, ne mangez que des produits qui sont morts naturellement. Pour réduire les émissions de carbone, nous devons cesser l’élevage excessif et contraire à l’éthique pratiqué au nom du confort humain. Nous devons également arrêter d’utiliser des engrais chimiques, qui polluent les cours d’eau et nuisent à la santé des sols. 

Si vous cultivez vos propres aliments, vous pourrez partager pleinement votre énergie avec le contenu de votre assiette et avoir une vision éclairée sur le monde. Votre esprit appartient à l’univers et fusionne avec la nature. Mais cela nécessitera un changement de la part de chacun, partout dans le monde. Chaque consommateur, chaque agriculteur devra tenir compte non seulement de ses pairs, mais aussi de la nature et de ce qu’elle a à dire. Nombreuses sont les personnes qui sont devenues trop complaisantes pour tenir compte des changements climatiques et de l’agriculture telle qu’elle devrait être pratiquée. Leur dépendance excessive vis-à-vis des machines les empêche de comprendre certaines choses, par exemple la façon dont l’environnement naturel circule, ou les températures favorisant la germination des semences. 

Pour pratiquer leur métier correctement, les agriculteurs doivent avoir des connaissances scientifiques, politiques et économiques. De même, les personnes qui ne pratiquent pas l’agriculture doivent avoir des connaissances dans ce domaine.

Q: Qu’est-ce que la cuisine représente pour vous?
Pour moi, cuisiner revient à protéger les principes et lois qui régissent ma vie. Cuisiner me permet de comprendre l’essence de la provenance des ingrédients, et de ma propre provenance. Ces deux essences ne font plus qu’une lorsque je cuisine.

Q: À l’approche de la Journée internationale des femmes, avez-vous une opinion sur l’égalité femmes-hommes?
Je suis avant tout humaine. Le sexe, le fait d’être homme ou femme, n’est que la solution qu’a trouvée la nature pour nous catégoriser. C’est nous, les êtres humains, qui avons décidé de faire une distinction entre hommes et femmes; mais nous sommes tous et toutes animés par la même énergie.

Nous devons tous être fidèles à notre propre vie. Être une femme n’est pas un concept pour moi. Je suis juste humaine. Je suis une religieuse. Le fait d’être homme ou femme n’existe pas sur le chemin de la connaissance de soi.

 

Retrouvez Jeong Kwan dans le dernier épisode de notre podcastEt découvrez ses recettes sur sa chaîne YouTube.